
Du 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026 se tient l'exposition « Georges de La Tour - Entre ombre et lumière ». au Musée Jacquemard André à Paris.
C’est la première grande rétrospective en France depuis 1997 consacrée à Georges de La Tour, ce qui en fait un événement assez rare.
Nous avons visité cette exposition le 15 novembre 2025.
L’exposition réunit plus de 30 chefs‑d’œuvre (peintures et dessins), parmi les 40 œuvres authentiques connues de l’artiste.
On y découvre des scènes de genre (vie quotidienne, personnages modestes, scènes profanes) et des toiles religieuses ou spirituelles.
L'’exposition met en valeur son exceptionnelle maîtrise du clair‑obscur.
Le parcours est thématique, découpé en 8 salles, chacune faisant ressortir un aspect particulier de l’art du peintre : lumière, sujets, variation, spiritualité...
Georges de La Tour (1593-1652) est un peintre français majeur du XVIIᵉ siècle, souvent associé au courant du caravagisme pour son spectaculaire usage du clair-obscur.
Il est né en 1593 à Vic-sur-Seille en Lorraine, région alors indépendante du royaume de France. Il a vécu et travaillé principalement à Lunéville, où il devient peintre officiel du duc de Lorraine.
On connait peu de choses sur sa vie, si ce n'et qu'il est d'origine modeste, fils d’un boulanger ménager.
Il a probablement été formé en Lorraine mais il ne subsiste aucune trace de son apprentissage.
Les historiens supposent, sans preuve directe, qu'il a fait un séjour à Rome ou a eu un contact indirect avec le caravagisme, en raison de son style.
Il a connu une brillante carrière, il a travaillé pour de prestigieux collectionneurs dans l'entourage des ducs de Lorraine, puis à la Cour de France sous Louis XIII.
Célèbre de son vivant, il est tombé dans l'oubli après sa mort en 1652, avant d'être redécouvert par des historiens de l'art au XXe siècle.
Au delà de son enracinement local, le style de George de La Tour s'inscrit ans le courant du caravagisme européen.
Dans la première salle sont exposés des oeuvres de Jean Leclerc et de Mathieu Le Nain.
Ces deux artistes témoignent de l'influence du Caravage dont le clair-obscur et le réalisme se diffusent dans toute l'Europe dès 1610.
Le lorrain, Jean Leclerc rapporte à Nancy à son retour d'Italie en 1622 une interprétation douce et raffinée du caravagisme. Devenu le peintre des ducs de Lorraine, il réalise de nombreux décors et tableaux d'églises.
Jean Leclerc et Georges de la Tour sont tous deux sont liés à la Lorraine et au courant inspiré du Caravage, mais chacun l’interprète à sa manière.
"Le Concert Nocturne" illustre le style de Jean Leclerc.
Dans une taverne, des musiciens et chanteurs entourent deux couples absorbés par leurs occupations amoureuses, tandis que la lumière d'une chandelle marque les silhouettes dans un contraste entre ombre et lumière
Mathieu Le Nain quant à lui, s’inscrit dans la tradition réaliste française du XVIIᵉ siècle, très sobre et humaine.
L’approche est modérée, discrète, avec une lumière douce et un traitement simple des figures. L’intention est souvent de montrer l’intériorité morale de Pierre et des personnages, sans grand théâtre visuel.
Le Nain met l’accent sur la calme humanité du récit, De La Tour sur le drame intérieur, rendu par la lumière et l’ombre.
Mathieu le Nain (1607-1677)_Le Reniement de st Pierre_vers 1655_huile sur toile_musée du Louvre, département des peintures, Paris
Georges de la Tour est maître de la lumière artificielle, beaucoup de ses tableaux n’ont qu’une seule source lumineuse (une bougie souvent cachée par une main ou un objet), ses compositions sont épurées, géométriques.
Les visages sont immobiles, l'atmosphère silencieuse.
Ses thèmes sont des scènes religieuses comme "Madeleine pénitente", "la Nativité", "Saint Joseph charpentier"…et des scènes de genre comme des joueurs de dés, des tricheurs, de mendiants.
André Malraux écrit dans La voix du silence, en 1951 "Ce n'est pas l'obscurité que peint Georges de La Tour : c'est la nuit étendue sur la terre, la forme séculaire du mystère pacifié...La Tour est le seul interprète de la part sereine des ténèbres."
Attribuée à Georges de la Tour en 1955, "La Femme à la Puce" est une oeuvre unique dans sa production. Aucun détail ne permet d'identifier le personnage ou de rattacher la scène à un récit religieux ou profane.
Le corps à demi découvert d'une jeune femme assise dans une pièce dépouillée est éclairée à la lueur d'une chandelle. Son habit, sa coiffe, son bijou indiquent une collection modeste, probablement une servante.
Peinte pendant la guerre de trente ans, l'oeuvre a été rapprochée des préoccupations de son temps.
Est-ce une allusion à l'égrenage du chapelet ? Aux jeunes filles enceintes recueillies dans des institutions religieuses ?
La Tour en a fait une oeuvre de méditation aux significations multiples.
Rare oeuvre datée, bien qu'indéchiffrable, "l'Argent versé" redécouvert dans les années 1960 a remis en cause l'idée que de la Tour n'aurait peint des nocturnes qu'à la fin de sa vie.
Dans un intérieur sombre six personnages se livrent à une transaction énigmatique. Collecte d'impôts ? réquisition militaire ? ou tractation officielle ?
Le contraste entre les costumes raffinés et la rudesse des gestes, l'usage dramatique du clair-obscur marquent l'adhésion au caravagisme. De La Tour dépeint une ambiance tendue, animée de violence, une menace ou un soupçon.
Georges de la Tour (1593-1652)_L'argent versé_vers 1631-1634_huile sur toile_Galerie Nationale, Ukraine
Le clair obscur et la simplicité austère de la composition de "Job raillé par sa femme" contribuent à faire de ce tableau l'un des plus saisissants et originaux de Georges de La Tour.
Il représente un vieil homme décharné, assis, et une femme penchée vers lui, ce qui permet de rattacher cette scène à un passage du livre de Job dans la Bible.
La flamme de la bougie structure toute la composition : elle éclaire les visages, révèle les textures et crée une atmosphère de recueillement.
Georges de la Tour (1593-1652)_Job raillé par sa femme_vers 1630_huile sur toile_Musée départemental d'art ancien et contemporain, Epinal
Georges de la Tour a été le peintre des infortunés.
Aucune de ses oeuvres ne peut être datées de façon certaine avant 1645. Cependant les spécialistes admettent que ses premières compositions, essentiellement des oeuvres diurnes sont centrées sur les figures marginales de la société, musiciens aveugles, mendiants ou vieillards.
Les visages burinés de ses modèles ou leurs vêtements usés révèlent une attention à la condition sociale et à la vie quotidienne de Lorraine.
Ses peintures de genre sont les oeuvres les plus marquantes. Georges de la Tour confère aux pauvres une dignité silencieuse.
Le naturalisme frontal de ces figures évoque les oeuvres du Pensionnaire de Saraceni ou de Ter Brugghen dans leurs variations autour du reniement et du repentir de saint Pierre, thèmes chers aux caravagesques.
Si les sujets choisis par de la Tour sont communs, leur traitement est cependant plus audacieux et son approche de la lumière naturelle marque son style.
Hendrick Ter Brugghen (1588-1630)_Saint Pierre repentant_1616_huile sur toile_Central Museum, Utrecht
Georges de la Tour a peint au moins cinq versions de ce musicien ambulant, personnage familier des rues lorraines, au XVIIe siècle.
Des mentions dans les inventaires de l'époque de "joueurs de vielle" ou de "ménestriers" prouvent le goût des amateurs pour ce sujet.
De La Tour s'empare du sujet avec un réalisme saisissant, loin des caricatures de ses contemporains.
L'attention est portée sur le personnage solitaire et probablement aveugle. Le visage ridé, les cheveux en désordre, les vêtements modestes mais soignés du vieillard sont représentés avec précision.
Ni misérabiliste ni idéalisé ce portrait incarne une humanité discrète, à la fois digne et fragile, proches des figures caravagesques.
Georges de la Tour (1593-1652)_Le Vielleur à la sacoche_vers 1640_huile sur toile_Musée Charles Fitry, Remiremont
Georges de la Tour (1593-1652)_Le vielleur au chien_vers 1620_huile sur toile_Musée du Mont de Piété de Bergues
Le "Vieil homme" aux épaules voûtées semble écouter la "Vieille femme" qui lui fait face, les mains sur les hanches. Les poses de ce couple de vieillards peint à la lumière du jour évoquent une attitude théâtrale.
Le raffinement des vêtements, notamment le tablier de soie de la femme et les culottes rayées de l'homme suggèrent des costumes d'acteurs.
Ces toiles relèvent du naturalisme inspiré du théâtre de rue.
Georges de la Tour (1593-1652)_Vieil homme_vers 1618-1619_huile sur toile_Fine Art Museums of San Francisco_Roscoe and Margaret Oakes Collection
Georges de la Tour (1593-1652)_Vieille femme_vers 1618-1619_huile sur toile_Fine Art Museums of San Francisco_Roscoe and Margaret Oakes Collection
Deux vieillards "Les mangeurs de pois" côte à côte sont absorbés par la consommation silencieuse d'un repas de pois chiche.
Leurs vêtements rapiécés, leurs visages marqués, la simplicité des écuelles en terre cuite suggèrent une scène d'aumône. La lumière crue isole leurs silhouettes dans un espace réduit et dépouillé, sans profondeur.
Cette représentation de figures humbles, peintes sans pittoresque rejoint des recherches du caravagisme et une forme de réalisme radical.
Georges de la Tour (1593-1652)_Les mangeurs de pois_vers 1620_huile sur toile_Gemäldgalerie, Staatliche Berlin
Parmi les sujets favoris de Georges de la Tour, les saints hommes occupent une grande place.
Il les représente généralement comme des figures isolées, grandeur nature, dans des poses figées.
La nudité du "Saint Jérôme pénitent", son agenouillement et l'éclairage expriment la solitude et le repentir.
Les mêmes attributs à savoir le crâne, la croix le livre et le fouet ensanglanté , instrument de pénitence, sont présents dans les deux tableaux ( "Saint Jérôme pénitent" et Saint Jérôme pénitent, dit saint Jérôme à l'auréole", mais la position du saint, le traitement de la lumière et de subtiles variations de détails révèlent deux interprétations du même sujet.
Mentionnés dans l'inventaire du cardinal de Richelieu, la version de "Saint Jérôme pénitent" a sans doute été exécutée pour Richelieu à qui fait allusion l'attribut du chapeau cardinalice écarlate.
L'artiste reprenait ses propres compositions, parfois avec l'aide de son atelier afin de satisfaire une forte demande.
Ce ne sont pas de simples copies, les variantes traduisent l'approfondissement des sujet et une adaptation de l'artiste aux attentes des collectionneurs.
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jérôme pénitent_vers 1630_huile sur toile_Nationalmuseum Stockholm_Don des amis du Nationalmuseum en 1917 avec la contribution de Knut Agathon Wallenberg et AN Versteegh
Plusieurs bustes de saints sont réunis.
Trois d'entre eux, "Saint Jacques le Mineur", "Saint Philippe" et "Saint Jacques le Majeur" proviennent d'une commande reçue par G de La Tour au début de sa carrière, un apostolado, ensemble de toiles représentant le christ et les douze apôtres en demi-figure.
Dispersée à la Révolution, cette série autrefois conservé à la cathédrale d'Albi nous est parvenue qu'en partie : six apôtres originaux subsistent.
Ces tableaux comptent parmi les entreprises les plus ambitieuses du peintre.
Chaque apôtre se présente comme un homme simple absorbé dans une méditation silencieuse.
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jacques le Majeur_vers 1620_huile sur toile_Collection particulière
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Grégoire_vers 1630_huile sur toile_Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jacques le Mineur_vers 1620_huile sur toile_Musée Toulouse-Lautrec, Albi
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Philippe_vers 1620_huile sur toile_Chrysler Museum of Art, Norfolk, VA
Chez Georges de La Tour, les saints absorbés dans la prière ou la lecture sont immobiles, les gestes réduits à l'essentiel. Le seul véritable drame est intérieur, celui de la souffrance spirituelle et de la pénitence.
Parvenu à sa maturité artistique, de la Tour expérimente les possibilités du nocturne; chandelles à demi dissimulées, reflets à travers une page translucide, lueurs sur un crâne ou une lanterne ponctuent le ténèbres où se joue la méditation.
Le célèbre "Saint Pierre repentant" ou encore le "Saint Jacques le Majeur" témoignent de ce style sobre, où la lumière devient le principal signe du divin.
Caravage s'est rarement intéressé à la lumière artificielle qui ne s'impose chez les caravagesque qu'après sa mort.
Certains comme Gerrit Von Hanthorst, Adam de Coster ou Trophime Bigot, s'en font une spécialité.
Atelier de Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jacques le Majeur_vers 1640-1645_huile sur toile_Collection particulière
D'après Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Pierre repentant dit Les larmes de Saint Pierre_vers 1646-1648_huile sur toile_Musée Georges de la Tour, Vic sur Seille, Moselle_dépôt d'une collection particulière
"Nuit, des nuit la plus ténébreuse,
Jamais la lampe lumineuse
Ne te vaincra de sa clarté :
Puisque pour empêcher sa flamme,
Tu mêle la nuit de mon âme
Avec ton obscurité."
Henry Humbert (poète lorrain), Les Ténèbres, 1624
Signé et daté de 1645, le tableau des "Larmes de Saint Pierre" constitue un jalon essentiel dans l'oeuvre de Georges de la Tour.
Saint Pierre est ici représenté non comme le fondateur glorieux de l'église, mais comme un homme accablé par le remord.
Assis le regard rougi par les larmes, il médite dans l'obscurité, éclairé seulement par la lueur vacillante d'une lanterne.
Sa position humble, ses pieds nus chaussés de lourdes socques, l'accent mis sur son âge et sa fragilité traduisent la douleur d'un homme qui a renié le christ.
A ses côtés, le coq rappelle la prophétie de Jésus "avant que le coq ne chante, tu m'auras renié trois fois".
Georges de la Tour imagine une iconographie de la contrition, solitaire et humaine.
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Pierre repentant dit Les larmes de Saint Pierre_1645_huile sur toile_The Cleveland Museum of Art, Cleveland, Gift of the Hanna Fund
Trophime Bigot a réalisé plusieurs représentations nocturnes de "Saint Jérôme", toutes marquées par un style ténébriste très proche du caravagisme.
Saint Jérôme, docteur de l’Église est souvent représenté la nuit, méditant ou traduisant la Bible (la Vulgate).
Le saint est représenté âgé, au torse nu, la peau éclairée par une flamme ou une bougie. Il lit ou écrit dans un grand livre, symbole de la traduction latine des Écritures. Un crâne apparaît souvent, rappelant la vanité et la méditation sur la mort. La lumière de la bougie éclaire vivement son visage et ses mains, effet typique de Bigot. Le clair-obscur intense qui isole la figure et crée une atmosphère méditative.
Adam de Coster a probablement séjourné en Italie. Il a peint plusieurs "Reniement de saint Pierre", sujet prisé des peintres caravagesques.
Il choisit ici un moment suivant l'arrestation du christ, une servante s'apprête à dénoncer l'apôtre éclairé par une bougie dissimulée derrière la main de l'accusatrice, un procédé récurrent chez l'artiste. Au premier plan les gardes jouent aux cartes autour d'une lanterne, allusion au partage de la tunique du christ.
Adam de Coster (vers 1586-1643)_Le reniement de saint Pierre_vers 1625_Huile sur toile_Salomon Lilian, Amsterdam
Atelier de Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jérôme lisant_vers 1648-1650_huile sur toile_Palais des duc de Lorraine, dépôt du musée du Louvre
A l'apogée de son art, Georges de la Tour invente avec ses nocturnes un genre nouveau.
La lumière ne se contente plus d'éclairer les scènes mais devient le véritable sujet du tableau.
Dans" Le nouveau-né" et "Madeleine pénitente", la clarté des chandelles transfigure les personnages, leur conférant une humanité profonde et une aura mystique.
Il s'affranchit des attibuts religieux comme les auréoles, les symboles, les halos.
La spiritualité est rendue par la vibration lumineuse.
Georges de la Tour a été nommé peintre du roi Louis XIII en 1639. Cet honneur lui a permit d'accéder à une clientèle parisienne jusqu'à la Cour.
Lodewijk Finson dit Louis Finson (vers1575-1580-1617) d'après Caravage_La Madeleine en extase_huile sur toile_Vers 1606-1613_Musée des Beaux arts de Marseille
"La Madeleine pénitente" assise de profil dans une pièce dépouillée, la sainte est absorbée dans une profonde méditation. Une flamme que l'on ne voit pas directement éclaire la scène d'un halo doré.
La scène contient de nombreux symbole comme le crâne et le miroir qui évoque la vanité des biens terrestres tandis que la lumière est une métaphore de l'élévation spirituelle.
Georges de la Tour (1593-1652)_La Madeleine pénitente_vers 1635-1640_huile sur toile_National Gallery of Art, Washington, Ailsa Mellon Bruce Fund, 1974
Cette scène nocturne de "Saint Sébastien soigné par Irène" est l'une des plus ambitieuse de G de La Tour.
L’épisode représenté, montre la sainte Irène et sa servante veillant le corps blessé de Sébastien après son supplice. Plutôt que de souligner le spectaculaire du martyre, La Tour choisit une composition profondément intérieure, où la lumière devient le vecteur principal de l’émotion.
La scène est presque entièrement plongée dans l’obscurité, seulement traversée par la lueur vacillante d’une lampe tenue par la servante. Comme souvent chez La Tour, cette lumière artificielle n’est pas seulement un procédé stylistique, elle crée une atmosphère de recueillement et confère au tableau une dimension quasi méditative.
Les personnages semblent absorbés par leur geste, enveloppés dans un silence majestueux.
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Sébastien soigné par Irène_Vers 1635-1640_huile sur toile_Musée des beaux Arts d'Orléans
"Le Nouveau-né" (vers 1645–1648) est l’un des tableaux les plus célèbres de Georges de La Tour.
L’œuvre, d’une grande sobriété, représente deux femmes autour d’un nouveau-né à la lueur d’une chandelle. Le peintre y déploie son art du clair-obscur et propose une méditation silencieuse sur la naissance, la douceur et le mystère de la vie.
La lumière provient d’une bougie tenue par l’une des femmes. Cette flamme éclaire les visages, les mains et le bébé, laissant le reste de la composition dans une ombre dense et compacte.
Ce clair-obscur sanctifie la scène. La lumière devient symbole de vie et de présence, comme si la naissance elle-même éclairait le monde.
Les figures sont représentées avec une grande simplicité, vêtements sobres, expressions calmes, gestes retenus.
Georges de La Tour évite tout détail anecdotique pour concentrer l’attention sur l’essentiel : le lien entre les femmes et l’enfant.
Ce dépouillement renforce le caractère universel de la scène : il pourrait s’agir d’un simple événement familial, tout comme d’une Nativité symbolique, interprétation souvent proposée par les historiens.
Georges de la Tour (1593-1652)_Le Nouveau Né_Vers 1647-1648_huile sur toile_Musée des beaux Arts de Rennes
D'après Georges de la Tour (1593-1652)_Saint françois en extase_Vers 1640-1645_huile sur toile_Musée de Tessé au Mans
Dans la dernière décennie de sa vie Georges de la Tour connait un succès certain.
L'inventaire des biens du gouverneur français de la Lorraine, le duc de la Ferté, mentionne plusieurs de ses tableaux, dont cinq offerts par la ville de Lunéville en guise d'étrennes.
Ce oeuvres tardives, peut être réalisées avec l'aide de son fils Etienne, se caractérisent par une stylisation des forme et une lumière toujours plus abstraite.
Le tableau "Le souffleur à la pipe" qui représente un jeune garçon chauffant une pipe à la flamme d’un tison, est une scène humble et triviale que La Tour élève à une dimension presque méditative.
La seule source lumineuse provient du tison enflammé que le jeune souffleur porte à sa bouche. Cette lueur révèle la moitié du visage, illumine les traits et modèle les volumes avec une précision très sculpturale.
La Tour utilise un clair-obscur silencieux, moins dramatique que celui du Caravage : ici, la lumière ne dévoile pas l’action, elle émerge comme un secret.
Comme souvent chez La Tour, la scène semble figée. Le garçon est entièrement absorbé par son geste, ce qui crée une atmosphère de calme.
Cette immobilité, accentuée par la nuit environnante, donne à l’œuvre une dimension contemplative, le spectateur se retrouve face à un moment fragile, presque secret, saisi dans une durée silencieuse.
Georges de la Tour (1593-1652)_Le souffleur à la pipe_ 1646_huile sur toile_Tokyo Fuji Art Museum, Tokyo
"La Jeune Fille au brasero" est une œuvre emblématique de Georges de La Tour.
Le tableau représente une jeune femme assise, absorbée dans un geste simple : elle se chauffe les mains au-dessus d’un brasero. La scène est intimiste et dépouillée, sans décor précis. Le fond sombre isole la figure et concentre le regard du spectateur sur le personnage et la source de lumière.
La lumière, provenant du brasero, éclaire doucement le visage et les mains de la jeune fille. Ce jeu de clair-obscur crée une atmosphère silencieuse et méditative.
La lumière est ici chaude et feutrée, renforçant l’impression de calme et de recueillement. Les couleurs sont sobres, des tons bruns, rouges et ocres dominent, accentuant la simplicité de la scène.
La posture et l’expression de la jeune fille suggèrent une forme d’introspection. Elle ne regarde ni le spectateur ni un autre personnage, ce qui renforce le sentiment de solitude. Ce moment quotidien devient presque sacré, révélant l’intérêt de La Tour pour la dignité des gestes ordinaires.
L’œuvre peut être interprétée symboliquement, le feu du brasero évoque à la fois la chaleur vitale et la fragilité de la vie.
Ainsi, Georges de La Tour transforme une scène banale en une réflexion silencieuse sur la condition humaine.
"Le Reniement de saint Pierre" (vers 1650) est l’une des œuvres majeures de la période tardive de Georges de La Tour.
Il reprend un épisode central du Nouveau Testament, l’instant où Pierre nie connaître le Christ, avant le chant du coq.
Mais La Tour interprète la scène de façon personnelle, loin du drame violent typique du baroque caravagesque. Il offre une scène d’une grande sobriété, presque silencieuse, où le clair-obscur construit la tension intérieure du récit.
Le tableau se déroule dans une pénombre chaude, éclairée uniquement par une torche que l’un des soldats tient. Cette lumière artificielle isole les figures, les détache comme des statues, et crée une atmosphère de secret.
Au lieu de multiplier les personnages ou de représenter le Christ au loin, comme le faisaient de nombreux peintres, La Tour concentre la scène autour de quatre figures, Pierre, surpris et vulnérable, la servante qui l’accuse, deux soldats absorbés dans un jeu de cartes.
G de La Tour lui donne à st Pierre un visage simple, presque ordinaire, penché vers la servante. Sa main posée sur sa poitrine exprime l’embarras, le trouble intérieur, plus que le drame.
La servante pointe Pierre du doigt. Elle le désigne mais ne l’accuse pas.
Cette sobriété des gestes traduit le style spécifique du peintre, un baroque dépouillé, intériorisé, où l’émotion se lit dans la tension contenue plutôt que dans l’explosion dramatique.
Georges de la Tour (1593-1652)_Le reniement de saint Pierre_ 1650_huile sur toile_Musée d'Arts de Nantes
"Les Joueurs de dés avec un filou" (souvent appelé simplement "Les Joueurs de dés") appartient au cycle des scènes de genre nocturnes de Georges de La Tour.
Le peintre y met en scène un groupe de jeunes hommes occupés à un jeu de hasard, sous l’œil discret et menaçant d’un filou prêt à les dépouiller. Par-delà, l’apparente simplicité du sujet, La Tour propose une réflexion subtile sur la tromperie, l’illusion et la fragilité humaine.
Le tableau représente quatre personnages autour d’une table.
À gauche, un jeune joueur, concentré et naïf, jette les dés, à droite, deux compères, un soldat et un filou se regardent et s’entendent pour tromper et derrière eux, une femme, parfois interprétée comme une entremetteuse ou une complice, participe à la manipulation.
La scène semble presque figée, comme un moment suspendu. Les silhouettes sont immobiles, les visages lisses, les gestes mesurés. Loin de l’agitation souvent associée aux scènes de taverne, l’image est silencieuse, presque austère.
Cette théâtralité calme est l’une des signatures du peintre, il transforme un épisode trivial en une méditation visuelle.
Georges de La Tour construit sa scène avec précision, les personnages sont alignés frontalement, comme sur une scène de théâtre, les diagonales créées par les bras et les regards guident le spectateur vers le centre dramatique que sont les dés.
Cette rigueur donne à l’œuvre une beauté presque abstraite : la scène devient à la fois réaliste et symbolique, quotidienne et intemporelle.
Georges de la Tour (1593-1652)_Les joueurs de dés_ 1640-1652_huile sur toile_Musée d'Arts de Nantes_Preston Park Museum and Grounds, Stockton on Tees
Réduit à l'essentiel, ce "saint Jean Baptiste" est l'oeuvre la plus radicale de Georges de la Tour, et sûrement l'une des plus tardives.
Un jeune homme au corps maigre et anguleux est assis dans un intérieur indéfini.
Une lumière ténue provenant d'une source invisible l'effleure mais son visage reste dans l'ombre.
Aucun artifice, aucun décor, tout tend vers l'intériorité. Seuls l'agneau et la croix identifie le personnage.
La lumière sourde, l'intensité spirituelle évoquent les ultimes oeuvres du Caravage.
De la Tour parvient de manière indépendante à une forme de spiritualité austère, humaine et silencieuse.
Georges de la Tour (1593-1652)_Saint Jean Baptiste dans le désert_Vers 165_huile sur toile_Musée Georges de la Tour, Vic sur Delle, Lorraine
L’exposition "Georges de La Tour; Entre ombre et lumière" proposée par le musée Jacquemart André offre une immersion rare et précieuse dans l’univers d’un des peintres les plus énigmatiques et influents du Grand Siècle.
Cette rétrospective, la plus importante en France depuis près de trente ans, permet non seulement de redécouvrir l’œuvre d’un artiste longtemps oublié puis réhabilité, mais aussi de mesurer son influence durable et sa modernité intemporelle.
En plaçant la lumière au cœur de la démarche picturale, l’exposition révèle comment Georges de La Tour a su faire de l’ombre et de la lumière des véritables vecteurs de d’émotion transformant des scènes quotidiennes en visions empreintes de gravité et de mystère.
Texte de Paulette Gleyze avec l'aide des explications et annotations de l'exposition
Photos de Anne Paulette et Gérard Gleyze

