Du 8 décembre 2018 au 31 Mars 2019 le musée de l’Ancien Evêché de Grenoble propose une exposition d’estampes intitulée "Montagne et paysage dans l'estampe japonaise".
Dans le cadre de l'année du Japon à Grenoble et pour commémorer le 160e anniversaire des relations rétablies avec le Japon, le Musée de l’Ancien Évêché propose de montrer à travers les estampes le regard que portaient les Japonais sur la nature à l'époque Edo.
Cette exposition complète celle du Musée dauphinois qui montre les relations entre le Japon et l’Occident à travers l'histoire et l'art.
L'ukiyo ou « image du monde flottant » est un mouvement artistique japonais de l'époque Edo (1603-1868) qui comprend la peinture populaire et narrative mais surtout les estampes japonaises gravées sur bois.
Les thèmes des estampes sont des Geishas, des acteurs de théâtre, des sumôs,
des yōkai (créatures fantastiques), de la faune, de la flore...
Au début du XIXe siècle les estampes ont été frappées de censure au Japon, mais à la fin du même siècle elles vont connaître un grand succès auprès des Occidentaux.
En effet, l'arrivée en grande quantité des estampes en Europe et la naissance du japonisme influencent alors la peinture européenne et, en particulier, l'école de Pont-Aven avec Camille Pissaro, Paul Cézanne, Émile Bernard puis Paul Gauguin, et les impressionnistes.
Deux artistes, Hokusai (1760-1849) et Hiroshige (1797-1858) ont fondé un genre nouveau : l'estampe de paysage qui renouvelle les styles traditionnels.
Comment est réalisée une estampe ?
- L’artiste réalise à l’encre un dessin-maître , le shita-e ;
- L’artisan graveur colle ce dessin contre une planche de bois (cerisier ou catalpa), puis évide à l'aide de gouges les zones où le papier est blanc, créant ainsi le dessin en relief sur la planche.
- En procédant ainsi il détruit l’œuvre originale ;
- La planche gravée (« planche de trait ») est encrée et imprimée de manière à produire des copies du dessin original ;
- Ces épreuves sont ensuite collées sur des planches en bois, et les zones du dessin à colorer sont laissées en relief. Chacune des planches imprimera au moins une couleur dans l’image finale. Ce sont les « planches de couleurs » ;
- Le jeu de planches de bois est encré dans les différentes couleurs et appliqué successivement sur le papier.
- Le parfait ajustement de chaque planche par rapport au reste de l'image est obtenu par des marques de calage appelées kento. L'encrage est obtenu en frottant le papier contre la planche encrée à l'aide d'un tampon (baren) en corde de bambou ;
- L’impression finale porte les motifs de chacune des planches, certaines pouvant être appliquées plus d’une fois afin d’obtenir la profondeur de teinte souhaitée.
132 œuvres et documents divers font l'objet de cette exposition.
Tout d'abord des oeuvres de Katsushika Hokusai (né env 1760-dcd en 1849 de parents inconnus à Tokyo) lequel est peintre, dessinateur spécialiste de l’ukiyo-e, graveur et auteur d'écrits populaires.
Son œuvre a influencé de nombreux artistes européens, en particulier Gauguin, Vincent Van Gogh, Claude Monet et Alfred Sisley.
Il signe parfois ses travaux, à partir de 1800, par « le Fou de dessin ».
En 1814, il publie son Manga regroupant croquis et dessins.
Les Trente-six vues du mont Fuji (1831-1833) comptant en réalité 46 estampes et la Grande Vague de Kanagawa (1831) sont ses œuvres les plus célèbres. Il laisse derrière lui près de 30 000 dessins.
Les Trente-Six Vues du Mont Fuji, produites entre 1831-1833, représentent le Mont Fuji depuis différents points de vue, suivant les saisons.
"Sous la vague au large de Kanagawa" est la 1ère vue de la série "trente six vues du Mont Fuji" de Katsushika Hokusai. C'est son œuvre emblématique. Elle met en scène trois embarcations ballotées dans une mer déchaînée.
Cette estampe traduit le caractère éphémère de la vie terrestre face à la force de la nature, un précepte de la spiritualité bouddhiste.
"Le Fuji rouge dans une embellie" est la 2e vue de la série Trente six vues du Mont Fuji. Le Mont Fuji, point culminant du Japon et montagne sacrée, est représenté le matin dans un dégradé de rouge.
"L'orage sous le sommet de la montagne" est la 3e vue de la série des trente six.
"Le Mont Fuji reflété dans le lac à Misaka" est la 35e vue de la série.
Le Mont Fuji à la cime enneigée se reflète dan les eaux du lac. Cette image illustre l'éphémère lié au changement des saisons.
Dans une vitrine, nous pouvons admirer des vues jamais exposées au public. Elles sont conservées dans les réserves de la bibliothèque de L'EFEO (École française d'Extrême-Orient) à Paris.
L'album est composé de 36 estampes monté en accordéon.
Elles sont montrées en alternance en 4 séries de 9 estampes pendant toute la durée de l'exposition.
"Le lac de Hakone dans la province de Sagami"_34e vue
"La passe de Mishima dans la province de kai"_16e vue
"Le bras de Meguro"_25e vue
"Le pont de Nihonbashi à Edo_31e vue
"La roue à eau à Onden"_26e vue
"Le col d'Inume dans la province de Kai"_9e vue
"le Mont Fuji vu de la plantation de thé de katakura"dans la province de Suruga_44e vue
Le Mont Fuji reflété dans le lac à Misaka, dans la province de kai_35e vue
Ushibori dans la province de Hitachi_20e vue
Sont également exposées des estampes tirées des "Cinquante-trois Stations du Tōkaidō"
C'est une série d'estampes créées par Hiroshige après son premier voyage empruntant la route du Tokaidō en 1832.
Cette route reliait la capitale du shogun, Edo, à la capitale impériale Kyoto, et était l'axe principal du Japon de l'époque.
C'était aussi la plus importante des « Cinq Routes », les cinq artères majeures du Japon de l'ère Edo qui avaient pour objectifs d'améliorer le contrôle du pouvoir central sur l'ensemble du pays.
Le Tōkaidō de l'édition Hōeidō est l'œuvre la plus connue de Hiroshige et aussi la plus vendue dans l'histoire de l'ukiyo-e après les "Trente-Six Vues du Mont Fuji" d'Hokusai.
Elle représente des lieux célèbres.
Utagawa Horoshigé (1797-1858) est issu d'une famille de samouraïs. Orphelin très jeune il rentre à 14 ans dans l'atelier de Toyohiro Utagawa. Durant ses années de formation il s’intéresse surtout à l'estampe de personnage avec les geishas, les guerriers... A partir de 1830 il se tourne vers le paysage, et de retour d'une mission officielle auprès du shogun il réalise la série des Cinquante trois relais du Tokaido. Il consacrera d'autres séries à cette route et sa production comprend plus de 8 000 œuvres. A la fin de sa vie, il réalise une série d'estampes sur la montagne sacrée appelée Trente Six vues du Mont Fuji.
L'art d'Hiroshige se caractérise par la lumière, les phénomènes climatiques, par la saisie des moments éphémères de la nature.
Hakone_Vue du lac_ 10e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido. Dans cette étape, considérée comme la plus difficile, on voit les voyageurs en bas à droite de l'estampe.
Kambara_Neige de nuit_ 15e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Numazu_le crépuscule_ 12e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Goyu_35e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Goyu_Les femmes qui arrêtent les voyageurs_ 35e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Kuwana_Vers la traversée de sept lieues_ 42e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Kameyama_Eclaircie après la neige_ 46e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Shôno_l'averse_ 45e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Chiryû_l'averse_ 40e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Dangereuses vagues dans la passe de Satta près de Yui_17e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Okabe, le mont Utsu et le sentier de lierre_22e relais de la série Cinquante trois relais du Tokaido.
Hiroshige a également représenté une série de Cent vues des sites célèbres d'Edo.
La 2e vue représente le village de Nekozane et le village d'Horie qui sont séparés par le canal Sakaigawa. Ces deux villages étaient connus pour la variété de leurs fruits de mer vendus sur les marchés d'Edo.
Sarawuka-machi la nuit est la 37e vue de la série des Cent vues des sites célèbres d'Edo. Sur le côté droit de la rue sont représentés des théâtres. La structure qui s'élève sur les toits indiquait que le théâtre possédait une licence officielle.
Le pont Sugatami et le pont Omokage est la 42e vue.
70e vue
Averse soudaine_92e vue
Une série d'estampes d'Hiroshige représentant des lieux célèbres de la capitale de l'est.
Pont Nihon, matin clair après chutes de neige
Lueurs du soir à Seta, avec le Mont Hiei à l'arrière plan
Temps clair à Awazu
Comme nous l'invite l'affiche nous continuons la visite de l'exposition dans ce très beau bâtiment qu'est l'ancien évêché de Grenoble.
Dans une vitrine nous pouvons voir une série de feuillets extraite d'un livre
Scène fantastique de K Hokusai
Scène de combat de K Hokusai
Edmond de Goncourt (1822-1896) témoigne d'un grand intérêt pour l'art japonais. Il est considéré comme l'un des précurseurs du japonisme.
La légende d'Hagoromo de Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892). L'uchiwa-e est une estampe destinée à être montée sur un éventail.
La vie d'Hideyoshi Toyotomi de Utagawa Yoshiku (1833-1904), livre qui raconte l'histoire d'un militaire du XVIe siècle qui parti de rien s'est élevé dans les plus hautes sphères du pouvoir et a unifié le Japon en 1590.
La vie d'Hideyoshi Toyotomi
Fuji sur les vagues (série de 100 vues du Mt Fuji-vol 2, vue 37 de Hokusai
A partir de 1810, Hokusai se consacre à un art nouveau, à savoir les manuels de peinture. Les Hokusai mangas ou dessins divers comportent 15 cahiers publiés à partir de 1814. Ils rassemblent plus de 3 900 dessins allant de la description de mœurs urbaines aux légendes. On les considère aujourd'hui comme des encyclopédies de la vie quotidienne de l'époque Edo.
Esquisses de ponts_Hokusai manga-vol 4
barque sur les vagues de hokusai
Dans la dernière salle sont exposées les estampes mitate.
Mitate signifie littéralement "instituer par le regard", c'est le principe de l'allusion.
Si les estampes de paysages sont connues, les mitate le sont beaucoup moins.
C'est pour nous une découverte.
La série "La route du Tôkaidô : un regard vaut mille ryô(pièces d'or) a été réalisée par Toyohara Kunnichika (1835-1900) et Utagawe Horoshige (1842-1894).
Kunichika représente l'acteur de Kabuki Nakamura IV jouant le samouraï Kô no Moronoa; Cette pièce populaire du Japon raconte la légende des 47 rônins (guerriers). L'allusion montre le caractère sournois du personnage devant le paysage et le bâtiment qui cache la source d'eau chaude.
Le samouraï Kajiwara Genta à Nihonbashi, était célèbre pour ses prouesses militaires et devient proche du shogun. Le titre de l'estampe, Okabe, suggère le nom du samouraï et le relais du même nom de la 22e station du Tôkaidô. La neige sur le mont Utsu laisse présager du destin tragique du samouraï; la neige est synonyme de mort au Japon.
Cette estampe met en scène Narumi qui menace de son fusil Sasaki Tan'emon, un émissaire du seigneur qui envisage de capturer son fils.
Cette scène présente la danse tragique de la fille d'un prêteur sur gages, battue par le fantôme Hôkaibo qui a pris son apparence.
Lune du quartier des plaisirs. Une courtisane accompagnée de sa jeune servante admire les cerisiers en fleurs. Les courtisanes étaient surnommées yozakura, c'est à dire fleur de cerisier de nuit, la fleur de cerisier étant une métaphore de la beauté féminine.
Un homme gravit la pente avec une femme âgée sur son dos dans l'intention de l’abandonner en haut de la montagne. Cette pratique était courante dans certaines communautés du Japon, lorsqu'il y avait trop de bouches à nourrir. Cette scène me rappelle un très beau film : la balade de Narayama.
Le titre de l'estampe : la lune d'Obasute.
Okiku, servante du seigneur Aoyama Tessen est en charge d'un service de 10 assiettes précieuses, mais en brise une. Emprisonnée par son maître, elle réussit à s'échapper et à se noyer dans un puits. Son fantôme revient chaque nuit pour compter les assiettes, et n'en trouve chaque fois que 9.
La légende raconte qu'une femme céleste vêtue d'une robe de plumes descend du ciel pour se baigner au large de la plage Miho. Un pêcheur s’empare de son manteau et le lui rendra que si elle exécute une danse.
Cerisiers en fleurs à Goten-Yama. La fleur de cerisier est synonyme du temps qui passe. Cette métaphore est aussi associée à la beauté des geishas.
Cette estampe publicitaire met en scène au 1er plan une élégante courtisane.
Cette estampe illustre la légende de la princesse Satsuki. Son père avait ourdi une rébellion contre l'empereur. La rébellion échoue il a été tué. Pour obtenir vengeance, la princesse invoque la divinité de la pluie et devient une sorcière capable d'invoquer les démons.
Impossible de montrer toutes les œuvres de cette exposition si riche et si bien documentée dans ce remarquable écrin qu'est l'ancien évêché de Grenoble.
Un vrai plaisir et beaucoup de découvertes !
Texte de Paulette Gleyze
Photos de Paulette et Gérard Gleyze
Expo exceptionnelle!
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