mardi 16 novembre 2021

Le rétable d'Issenheim au musée Unterlinden à Colmar



Le 12 août 2021, nous faisons une visite au musée Unterlinden de Colmar.

C'est là qu'est exposé le magnifique et monumental polyptyque d’Issenheim.
Il est l’œuvre de deux grands maîtres allemands du gothique tardif !
- Matthias Grünewald pour la peinture des panneaux qu'il a peint de 1512 à 1516 et
- Nicolas de Haguenau pour la partie qu'il a sculpté aux alentours de 1490. L'identité de « Matthias Grünewald » reste incertaine. Ce nom lui a été donné, de manière assez arbitraire, par Joachim von Sandrart (1606–1688), « le Giorgio Vasari allemand ».
Son vrai nom serait Mathis Gothart Nithart (1475–1528) né à Wurtzbourg (?), en principauté épiscopale de Wurtzbourg, et mort à Halle, en principauté archiépiscopale de Magdebourg. C'est un contemporain d'Albrecht Dürer.

Nicolas de Haguenau (1460-1538) également connu sous les noms de Niclas Hagenauer, Niklaus Hagenauer, Niclas Hagnower, Niklaus Hagnower, Niclas von Hagenau, est un sculpteur du gothique tardif, particulièrement connu pour la partie sculptée du retable d'Issenheim.

Le musée doit sa renommée internationale à ce polyptyque.

Pour le mettre en valeur, il est exposé dans la chapelle de l'ancien couvent des Dominicaines d'Unterlinden (Unter Linden signifie « sous les tilleuls ») qui est devenu le musée d'art de Colmar.

Pour la vue d'ensemble du lieu d'exposition du retable, j'ai emprunté une photo au Net.

Consacré à saint Antoine, ce polyptyque provient de la Commanderie des Antonins à Issenheim, un village situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Colmar. Il a orné le maître-autel de l’église du couvent d’Issenheim jusqu’à la Révolution, ces panneaux étaient ouverts en fonction des périodes liturgiques.

La Commanderie de l'Ordre de Saint Antoine prend ses racines au 13ème siècle. Ce sont les Chevaliers de l'Ordre Teutonique de Guebwiller, qui vendent ce couvent aux Frères Hospitaliers de l'Ordre des Antonins.

C'est au XVe siècle qu'éclate en Allemagne le « mal des ardents », l’« ergot de seigle » ou le « feu sacré » qui fait plus de cent mille morts (1524-1525) . On sait aujourd’hui qu’elle provient de l'absorption de la substance présente dans l'ergot du seigle, consommé en période de disette.

La fonction de la Commanderie de l'Ordre de Saint Antoine était de soigner les malades atteints du "feu ardent" ou feu de Saint Antoine .

Pour cela, ils fournissaient aux malades une alimentation saine et une bonne hygiène quotidienne. Ils les soignaient avec un breuvage à base de vin et plantes dans lequel étaient trempées les reliques de saint Antoine. Ils les soignaient aussi avec le baume dit de Saint Antoine, qu'ils avaient inventé. C'était un onguent cicatrisant élaboré à partir de plantes.

Ils ont commandé ce polyptyque car la croyance populaire attribuait à saint Antoine le pouvoir de protéger du mal des ardents.

Le retable avait donc pour but de conforter les malades.

Ce retable polyptyque présente des épisodes de la vie du Christ et de saint Antoine, il est composé de trois volets qui peuvent être ouverts ou fermés. Il mesure 5,34 m de longueur et 3,76m de hauteur.

Ce polyptyque à quatre volets, chef-d'œuvre du début de la Renaissance allemande, présente un total de onze surfaces peintes et une niche intérieure sculptée. Les 11 panneaux en tilleul, s’articulent autour d'un caisson central orné de superbes sculptures.

La première ouverture est l'accomplissement de la nouvelle loi avec quatre scènes :

- L’Annonciation,
- Le Concert des Anges,
- La Vierge et l’Enfant,
- La Résurrection

Sur le volet gauche est représentée l’Annonciation lorsque l’archange Gabriel vient annoncer à Marie qu’elle mettra au monde Jésus, le fils de Dieu.

Au centre, le Concert des anges et la Vierge et l’Enfant forment un ensemble où le spectateur assiste à la venue sur terre du Christ fait homme sous la forme d’un nouveau-né amené à combattre les forces du mal personnifiées par des anges aux physiques inquiétants.

De nombreux symboles donnent quelques clés de lecture : le jardin clos où se trouve la Vierge évoque sa virginité, le rosier sans épines est à l’image de la Femme sans péché, le figuier symbolise le lait maternel. Le lit et le baquet symbolisent la nature humaine du Christ venu sur terre.



Enfin, le volet droit montre la Résurrection lors de laquelle le Christ vivant, sortant du tombeau, s’élève dans le ciel en une image fantastique dont la luminosité transfigure le visage du Crucifié en celui d’un Dieu.
La deuxième ouverture est consacré à saint Antoine.
Le retable ouvert permettait aux pèlerins et malades de vénérer saint Antoine. qui trône, au milieu de la scène.
Le volet de gauche représente La Visite de saint Antoine à saint Paul ermite. Les deux ermites se retrouvent dans un paysage fantastique alors qu'il sont sensés selon les textes, se rencontrer dans le désert.

Le corbeau apporte deux morceaux de pain aux ermites et des plantes médicinales poussent au pied des deux saints.

Dans la niche centrale, St Antoine est encadré par saint Augustin et saint Jérôme.
Le commanditaire, Guy Guers, est agenouillé aux pieds de saint augustin.

Le volet de droite représente l’agression de saint Antoine par des monstres envoyés par Satan. Tombé à terre, battu à coups de bâton, griffé, mordu, le saint appelle Dieu à son secours. Celui-ci intervient pour combattre le mal en envoyant des anges à son aide. Dans le coin inférieur gauche, l’être aux pieds palmés et au ventre gonflé semble personnifier la maladie causée par l’ergot de seigle, qui se manifestait par des inflammations et des développements ulcéreux.

La troisième ouverture est le retable fermé. Il représente la Crucifixion.

Durant les jours ordinaires, les volets étaient fermés et laissaient voir la Crucifixion encadrée par saint Sébastien transpercé des flèches, et saint Antoine
qu’un monstre effrayant tente d’apeurer.

Au centre, la Crucifixion montre un corps atrocement supplicié du Christ.
Ce corps est couvert de plaies et hérissé d’épines. Il avait pour but de terrifier les malades, mais aussi de les conforter dans leur communion avec le Sauveur dont ils partageaient les souffrances.
À la droite du Christ, Marie, soutenue par Jean l’Évangéliste, est vêtue d’une grande pièce de tissu blanc, tel un linceul. À sa gauche, saint Jean-Baptiste est accompagné de l’agneau, symbolisant le Christ sacrifié.

Historiquement, Jean-Baptiste est décapité sur les ordres d’Hérode en l’an 29, il ne pouvait donc pas être témoin de la mort du Christ.

Sur le volet de gauche Saint Antoine qui soignait du mal des ardents, et sur le volet de droite Saint Sébastien qui soignait la peste.


Ce retable a eu une vie mouvementé, il a été réalisé entre 1512 et 1516 pour le maître autel de la chapelle de la commanderie des Antonins d'Issenheim, en 1792, pendant la Révolution Française, il est démonté et déposé à la Bibliothèque Nationale du District à Colmar pour échapper à la destruction.

En 1852, il est transféré, dans l’église de l’ancien couvent des Dominicaines d’Unterlinden qui a été transformé en musée.

Pendant la Première Guerre mondiale, il est placé dans une salle blindée d'une banque puis transféré à Munich le 13 février 1917 pour restauration (l'Alsace est alors allemande).
Il reprend sa place au musée en septembre 1919.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, il est caché au château de Lafarge (près de Limoges) puis au château de Hautefort en Périgord.

À la suite de l'armistice en 1940, le retable est transféré au château du Haut-Kœnigsbourg dans le plus grand secret.
L'armée américaine le découvre en 1944 et, le 8 juillet 1945 il retourne au musée Unterlinden à son emplacement actuel.

Il a été restauré à de nombreuses reprises.

L'œuvre a fasciné de nombreux artistes français et étrangers.

Côté musique, le compositeur allemand Paul Hindemith a composé son opéra "Mathis le peintre", puis une symphonie en référence à Mathias Grünewald et au panneau de la Tentation de saint Antoine.

Le compositeur germano-américain Werner Josten a composé un concerto en s'inspirant du retable.

Le compositeur britannique Jonathan Harvey, dans son œuvre « Death of Light, Light of Death », décrit tour à tour chacun des cinq personnages de la Crucifixion. L’œuvre a été créée par les solistes de l’Ensemble inter-contemporain en 1998, au musée de Colmar, devant le retable.

Côté peinture, le peintre japonais Itsuki Yanai, a passé plus de vingt ans à copier le tableau original,

Le peintre Gérard Titus-Carmel a longtemps dialogué avec le retable à travers une série de tableaux intitulée « Suite Grünewald ».

Au cinéma, dans le téléfilm Meurtres à Colmar, de 2018, avec Pierre Arditi, le tableau est au centre de l'histoire.

Côté littérature, le retable fait partie des « 105 œuvres décisives de la peinture occidentale » constituant le musée imaginaire de Michel Butor.


Texte de Paulette Gleyze
Photos de Anne, Paulette et Gérard Gleyze






1 commentaire:

  1. Quelle œuvre magnifique !

    Connais tu le triptyque du Maître de Moulins ? Exceptionnel aussi
    Un prochain post ?

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