mercredi 12 mars 2025

Chana Orloff sculptrice


Ce texte a été relu et corrigé par Ariane Tamir, Directrice des Ateliers-Musée, petite fille de Chana Orloff. Je l'en remercie chaleureusement.

Le 28 février 2025, nous avons eu le plaisir de découvrir l’exposition des œuvres de Chana Orloff dans sa maison-atelier située au 7 bis Villa Seurat, dans le 14ᵉ arrondissement de Paris. Elle conserve son œuvre et son mobilier d’origine.

La maison comprend un atelier d'exposition côté rue, un atelier de travail au fond et un appartement de trois pièces à l'étage.

Elle confie, en 1926, la construction d'une maison-atelier à l'architecte Auguste Perret, pionnier du béton armé.

Perret conçoit un atelier fonctionnel, doté de grandes baies vitrées qui laissent entrer la lumière naturelle, essentielle à son travail sur les volumes.


Une galerie surplombe l'atelier d'exposition et offre une vue sur les sculptures.





La visite guidée menée par Ariane Tamir et Eric Justman ses petits enfants, nous dévoile une artiste hors du commun et trop méconnue.

Chana Orloff (1888-1968) est née dans un petit village ukrainien qui faisait partie de l’empire Russe à l’époque.

En 1905, sa famille émigre en Israël qui est la première colonie juive du pays.

Elle arrive à Paris en 1910 pour apprendre la couture.

Dans un Paris en pleine effervescence, elle se découvre une passion pour la sculpture et effectue d’après photo sa première sculpture qui représente sa grand-mère.

Elle se présente l’année suivante au concours d’entrée de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs. Elle y est reçue deuxième et étudie le dessin dans la classe de Bruneau et la sculpture à l’Académie Russe à Montparnasse.

Elle fréquente les peintres et poètes de Montparnasse dont Picasso, Apollinaire, Cocteau, Max Jacob. Elle fait la connaissance de Modigliani, Soutine, Zadkine et Lipchitz et se forge un style personnel avec des portraits à la fois stylisés et ressemblants.

Dès 1911, elle devient une figure reconnue de la scène artistique parisienne.

En 1913, elle participe pour la première fois au Salon d’automne.

En 1916, elle expose aux côtés de Matisse, Rouault, Van Dongen à la galerie « Bernheim Jeune » et épouse le poète Ary Justman.

En 1918, son mari mobilisé meurt de l’épidémie de la grippe espagnole. Elle reste seule avec son fils âgé d’un an.
Avec Ariane, sa petite fille



En 1925, elle est promue "Chevalier de la Légion d’honneur" et devient Sociétaire du Salon d’Automne. En 1926, elle obtient la nationalité française .

Elle expose à Amsterdam et à Paris et voyage en Palestine.

Pendant l’entre-deux-guerres, son atelier était un point de rendez-vous pour des figures de l’avant-garde comme Modigliani, Soutine, et d’autres artistes de Montparnasse.

En 1942, en tant que juive et en raison de l’occupation nazie elle fuit Paris et se réfugie en Suisse.

Lorsqu'elle revient en 1945, elle trouve sa maison-atelier saccagée et pillée. Le mobilier et les sculptures ont disparu, emportés par les nazis en 1943.

Elle reprend son travail avec courage mais son style change.
Elle réalise des sculptures plus monumentales et abandonne le rendu "lisse et bien fini".
Désormais ses doigts marquent la matière.

Son succès faiblit en France mais elle connait le succès en Israël avec de nombreuses expositions, des commandes de monuments et des achats d'oeuvres par des particuliers et des musées.

Elle travaille dans son atelier jusqu’à sa mort en 1968.

Au début de sa carrière dans les années 1920 elle est une portraitiste pour des journaux et revues parisiennes.

Ses portraits sont marquées par des lignes stylisées capturant l'essence de ses sujets.
Elle est renommée auprès de l’élite parisienne et reçoit de nombreuses commandes de personnalités du monde littéraire et artistique parisien. 

Elle est une figure incontournable du mouvement artistique de l'École de Paris, aux côtés de Chagall, Soutine et d’autres artistes immigrés.


Son style évolue entre art déco et modernisme, influencé par des artistes comme Modigliani, Zadkine et Lipchitz.
Ses portraits font ressortir l'essence de la personnalité du sujet.








Très rapidement, elle se spécialise dans la sculpture. Son travail, est influencé par l’Art Déco et le Cubisme et présente des lignes douces aux formes épurées d'une grande expressivité.

Elle sculpte principalement des portraits, des maternités, des corps féminins des animaux souvent empreints de tendresse et de sérénité. Elle sculpte aussi des personnalités de son époque.

Elle travaille le bois, la pierre, le bronze et le plâtre, adaptant chaque matériau à l'expression recherchée.

Elle est aussi réputée pour ses sculptures d’enfants, où elle restitue l’expressivité et la tendresse.

Ce portrait ci dessous de Nadine Vogel a été commandé à Chana Orloff par son père, l'éditeur Lucien Vogel en même temps que le sien et celui de son épouse. Nadine est représentée en pieds, les mains sagement croisées sur sa jupe plissée. Elle présente une silhouette dont les courbes son accentuées par des reflets polis sur la surface du bois. Avec ses yeux arrondis et son amusante coiffure, ce visage mutin et joufflue semble être la personnification de l'enfance.

Nadine_1921









Le thème de la maternité est central et présent tout au long de l'œuvre de Chana Orloff.

Grâce aux courbes douces et harmonieuses qu’elle pratique, ses œuvres rendent une sensation de grâce et d’équilibre.

Les formes massives et harmonieuses, traduisent une impression de stabilité et de sérénité.

A travers ses maternités, Chana Orloff célèbre non seulement son propre vécu, mais aussi une vision universelle de la mère comme figure de force, de protection et d’amour inconditionnel.

Elle utilise principalement le bronze, le bois et la pierre. Elle choisit ses matériaux pour accentuer la force ou la douceur du sujet qu’elle sculpte.





Maternité allaitant_1949_bronze

En 1941, Chana Orloff a confié avant de partir en Suisse, des sculptures à des amis. Maternité assise ne reviendra à l'atelier qu'en 2022. En principe les maternités de Chana Orloff sont sereines. Ici la mère protège comme elle peut son enfant. L'oeuvre est datée de 1939
Maternité assise_1939_bonze

Cette oeuvre présente Andrée la Belle-fille de Chana et ses trois enfants. Ces derniers apparaissent dans une fusion totale avec leur mère qui forme un socle d'où ils émergent..
Mère et ses trois enfants_1954_bronze

De nombreuses sculptures représentent la fémininité à travers des formes arrondies et harmonieuses.
Certaines de ses œuvres capturent des corps en mouvement, notamment des danseuses ou des figures sportives, témoignant d'une grande maîtrise du dynamisme et de l'équilibre des formes.







Le portrait de cette galeriste est représentatif de la manière dont l'artiste capte les traits du visage mais aussi son attitude et sa manière de s'habiller. Katia Granoff est représentée avec son manteau de fourrure.
Katia Granoff_1963


Elle sculpte le mouvement, la grâce et le corps en action.
L'évolution stylistique de Chana Orloff s'exprime à travers ses danseuses.







Certaines sculptures expriment une certaine mélancolie ou un regard introspectif sur la condition humaine, notamment après la Seconde Guerre mondiale, où elle a perdu des proches dans la Shoah.

Ses bustes dégagent à la fois force et sobriété. Nous n'en reproduisons ici que quelques uns.

Impressionnant par ses dimensions et son profil, ce portrait Madame Harari, une amie d'origine égyptienne, est imposant. Un bronze est exposé au musée d'Art moderne de Tel Aviv
Madame Harari_1928-plâtre

Ruben Rubin est un peintre israélien qui a découvert Chana Orloff au Salon des Indépendants en 1922. Né en Roumanie, il émigre très jeune en Palestine. Le bronze de ce buste a été exposé au salon des Tuileries en 1926.
Ruben Rubin_1926_Plâtre


Pauline Lindelfeld, mie polonaise de Chana Orloff a servi de modèle pour ce buste
Madone_1914

Beate Rank, une des première pédo-psychanalyste et femme du psychologue et psychanalyste autrichien Otto Rank, s'est liée d'amitié avec Chana Orloff. Une correspondance entre les deux femmes montre que le couple a essayé de la faire venir aux Etats Unis au moment de la guerre. Ce buste a été exposée à New York en 1930 à la galerie E Weyhe
Madame Beate Rank_Marbre


Comme souvent Chana Orloff fixe un geste, une posture, une attitude. Elle rappelle "la jeune fille à sa toilette" de Camille Corot au musée du Louvre
Jeune fille à la natte_Bronze



"Un portrait du peintre, la pipe aux dents, le regard concentré s'inscrit dans le bois, en profil dur et strict avec de la recherche dans le regard. Les arêtes du masque disent la décision. Le costume de cette statue, à mi-corps est strict et harmonieux" écrit le poète Gustave Kahn en 1922.

Edmond Sigrist_Ciment

Et bien d'autres encore...

Elle a principalement sculpté des portraits et des figures humaines, mais elle a aussi créé plusieurs sculptures d’animaux. Elles se distinguent par leur simplicité et leur élégance. Elle capturait souvent l’essence et la posture des animaux avec des formes lisses et stylisées qui rappellent l’Art Déco, influencé par le cubisme et le modernisme.








Chana Orloff dans son atelier




Et pour terminer une sculpture particulièrement émouvante qui montre jusqu'où a pu aller la haine nazie à l'égard des juifs.
La femme décapitée, laissée en l'état.


Place des droits de l'enfant, non loin de la maison atelier se trouve une oeuvre de Chana Orloff qui représente son fils.
Mon fils marin_oeuvre originale de 1927_tirage en bronze de 2017_collecion de la ville de Paris

Chana Orloff a laissé une empreinte forte dans l’histoire de la sculpture moderniste du XXe siècle,

Son travail, influencé par l'Art déco et le cubisme, se caractérise par des formes épurées et stylisées, par la simplicité des lignes, la modernité et la force expressive, et par une constante recherche de la grâce.

Ses œuvres majeures sont visibles au Musée d'Art Moderne de Paris, au Musée d’Israël à Jérusalem et bien sûr dans son ancienne maison-atelier à Paris qui abrite une collection importante de ses sculptures et est devenue un lieu de mémoire.

Chana Orloff est une artiste qui a su transcender les frontières et les épreuves de son temps. Elle reste une figure marquante de la sculpture moderne, célébrée pour son talent et son indépendance.

Cette visite est une expérience riche qui permet de découvrir ses œuvres dans son cadre historique.

C'est une incroyable exposition d'une grande émotion, à ne pas manquer.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze


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