mercredi 27 août 2025

Le Château de Michel Eyquem de Montaigne à Saint-Michel-de-Montaigne en Nouvelle Aquitaine




Le 30 juillet 2025, nous visitons avec Carol et Eric le domaine de Montaigne.

Le domaine et le château de Michel Eyquem de Montaigne est un lieu emblématique situé en Dordogne, dans la commune de Saint-Michel-de-Montaigne en Nouvelle Aquitaine.

Il est acquis au XIVᵉ siècle par la famille Eyquem, famille de riches négociants bordelais anoblis. 

A cette époque, le site est un château fortifié, dominant les vignes et les terres agricoles.

Michel Eyquem de Montaigne y naît le 28 février 1533.

Son père, Pierre Eyquem, a une vision originale pour son éducation. Il remet son fils, bébé, à une nourrice paysanne puis dès l’âge de 3 ans, il le confie à un précepteur allemand qui lui parle uniquement latin, si bien qu’il apprend cette langue avant même le français.

Il fait ensuite ses études au Collège de Guyenne à Bordeaux réputé pour son ouverture humaniste.

En 1557, à l'âge de 24 ans, il devient magistrat au Parlement de Bordeaux. Son ami Étienne de La Boétie, auteur du "Discours de la servitude volontaire" l’influence profondément.

A la mort de son père en 1568, il hérite du domaine.

 Il se retire de 1569 à 1571 dans sa célèbre tour, qu’il aménage en bibliothèque. C’est là qu’il  médite et écrit les "Essais" publiés en 1580, qu'il enrichi jusqu’à sa mort.

Il exerce aussi des charges diplomatiques et politiques. Il est conseiller du roi Henri III et maire de Bordeaux de 1581 à 1585.

Figure majeure de la Renaissance française, humaniste, philosophe, écrivain et homme politique, Montaigne est surtout connu pour avoir inventé un genre littéraire unique, l’Essai, qui a profondément marqué la pensée occidentale.

Il décède en 1592 au château. Il est d’abord inhumé dans la chapelle familiale, avant que ses restes soient transférés à Bordeaux au couvent des Feuillants, puis au musée d’Aquitaine.

Le château revient alors à Léonor de Montaigne (1573-1616) seule héritière de Montaigne.

En 1590, elle épouse Géraud de La Chassaigne, conseiller au parlement de Bordeaux (un cousin de sa mère), ils auront plusieurs enfants, mais la lignée s’éteint au XVIIᵉ siècle.

Le château de Montaigne passe ensuite par héritage et alliances à d’autres familles nobles, dont les Lur Saluces, célèbres pour le vin de Sauternes.

 En 1885, un incendie dévastateur détruit la majeure partie du château médiéval. Seule la tour échappe aux flammes et reste intacte, c'est elle qui porte encore aujourd’hui l’authenticité du lieu.

Le château est ensuite reconstruit à la fin du XIXᵉ siècle, dans un style néo Renaissance par les propriétaires de l’époque, la famille de Carayon Latour, issue d’une lignée noble bordelaise.

La reconstruction s’inspire du style Renaissance pour rappeler l’esprit du lieu, mais il ne s’agit plus du château exact que Montaigne a connu.

Le domaine appartient toujours à des descendants de la famille de Carayon Latour.

Depuis toujours, les terres du château sont plantées de vignes. 
Aujourd’hui, la tradition viticole se perpétue, associée à l’image de Montaigne, qui lui-même s’intéressait aux cultures et à l’économie de son domaine.
Le domaine exploite environ 20 hectares de vignobles (AOC Côtes de Bergerac, Montravel, Bordeaux).

Nous arrivons au domaine dans un parc arboré avec des allées rectilignes typiques du jardin classique.
Des jeux pour enfants  y sont installés.




L'entrée de la cour est protégée par une tour défensive que Michel de Montaigne va aménager pour en faire son lieu de retrait et de travail.



C'est une tour ronde, massive, d’environ 12 mètres de diamètre, construite en pierre de calcaire, miraculeusement épargnée par l’incendie.
Elle conserve son caractère médiéval.


Elle possède trois niveaux superposés, reliés par un escalier en colimaçon de 107 marches.

Chaque niveau avait une fonction précise :

Au rez de chaussée, la chapelle dédiée à Saint-Michel est un lieu de prière et de méditation. Montaigne y entretenait une spiritualité intime mais sans excès.
Petite, voûtée, et sobre, elle rappelle que l’écriture des Essais se nourrissait aussi d’une quête morale et spirituelle.

Au 1er étage, se situe la chambre où Montaigne vivait et dormait lors de ses séjours dans la tour.

La pièce est circulaire, suivant la forme de la tour, les fenêtres percées dans l’épaisseur du mur, donnant à la fois lumière et isolement.

Un lit à baldaquin occupait le centre ou un côté de la chambre. La chambre est meublée assez sobrement : quelques coffres, une table, quelques sièges.
Les murs sont blanchis à la chaux et comportaient inscriptions et sentences morales peintes, comme dans la bibliothèque, mais plus rares.

La chambre surplombe la chapelle Saint-Michel, : une ouverture acoustique reliait directement la chambre à la chapelle, permettant d’entendre la messe depuis son lit quand il était trop faible pour descendre.





Montaigne y passait une grande partie de son temps. Il s'y reposait entre ses lectures et ses heures de travail à la bibliothèque car il souffrait de maladies chroniques.

La chambre, bien qu’austère, était donc un lieu d’équilibre entre la méditation, la douleur et la prière.
Elle ne comporte néanmoins ni luxe aristocratique, ni dénuement monacal, mais une sobriété propice à la réflexion.

Au 2e étage, sous la charpente, se trouve la librairie. 

C'est le véritable cœur de la tour, où il rédige l’essentiel des "Essais".

On y voit une reconstitution du fauteuil de Montaigne, le fauteuil authentique est conservé au musée d’Aquitaine de Bordeaux, avec d’autres objets personnels, comme sa table d’écriture.

Montaigne s’y installait pour lire, méditer et dicter ses Essais à un secrétaire, car il n’écrivait pas toujours lui-même.

Il avait coutume de dire qu’il aimait être à l’aise pour penser, et ce fauteuil était son véritable “poste de travail”. C'est une pièce circulaire, très lumineuse grâce à plusieurs fenêtres.

Sur les poutres de la charpente sont inscrites 57 maximes et sentences en latin et en grec que Montaigne avait fait peindre, maximes, sentences stoïciennes, épicuriennes ou sceptiques (Socrate, Sénèque, Épicure, Lucrèce, etc.).

Elles lui permettaient de déambuler dans la pièce les yeux au plafond pour trouver l'inspiration pour la rédaction de ses "Essais". Il les dictait à un scribe qui les retranscrivait sur le papier.

Ces poutres portent encore les inscriptions grecques et latines.

En voici quelques unes :

Une sentence grecque sur la modération : « EIH MOI ZHN APO TWN OLIGWN MHDEN ECONTI KAKON » Vivre de peu à l’abri de tout mal, tel est mon vœu.

Une allégorie sur la fragilité humaine : « Keramos anthrôpos » L’homme est un vase d’argile, (citation tirée d’Érasme, Adages).

Un appel à l’humilité intellectuelle : « Nolite esse prudentes apud vosmetipsos. » Gardez-vous d’être sages à vos propres yeux. (Épître aux Romains, 12,16).

Une sentence sur la sagesse mesurée : « Ne plus sapite quam oportet sed sapite ad sobrietatem. » Ne soyez pas plus sages qu’il ne faut, soyez sages avec modération. (tirée de l’Épître aux Romains)

Sur la vanité universelle : « Per omnia vanitas. » Partout vanité. (Ecclésiaste, 1).

Une réflexion sur la perception et le vrai : « Nostra uagatur in tenebris nec cæca potest mens cernere verum. » Notre esprit erre dans les ténèbres, et cet aveugle ne peut discerner le vrai.

Ces maximes reflètent son scepticisme, son introspection et son sens aigu de la mesure.




La bibliothèque comptait environ 1 000 volumes, traitant de la philosophie antique, de l’histoire, de la littérature, du droit, et de médecine.

Il s’y installait pour lire, annoter et écrire et disait qu’il y était « maître de soi ».

Il y recevait aussi des personnalités politiques et intellectuelles de son temps.

La tour est classée monument historique  par arrêté du 28 mars 1952. Elle constitue le grand centre d’intérêt historique et philosophique, c'est le seul vestige de son époque.
Elle symbolise le lieu de naissance d’une pensée moderne, fondée sur l’introspection, le doute, la tolérance et l’expérience vécue.

Après la visite de la tour nous nous rendons sur le parvis du château, lieu de RDV pour la visite guidée.

Le château est privé, les photos sont interdites à l'intérieur.

Le bâtiment est de style sobre et symétrique, le plan est en U avec un corps central flanqué de deux ailes latérales.

Les lignes sont droites, les proportions équilibrées, les toitures hautes en ardoises.

Il est construit en pierres blondes du Périgord, typiques des demeures nobles de la région.

Le château n'est pas celui que Michel de Montaigne a connu.

A l'origine se trouvait une maison forte construite par les Anglais pendant la guerre de Cent Ans.

En 1477, Ramon Eyquem, l'arrière grand père de Montaigne achète le domaine afin d'obtenir des terres et le titre de Seigneur.

Son fils, Grimon en hérite puis plus tard Pierre Eyquem, le père de Montaigne qui fortifie le domaine en construisant des remparts que l'on appelle aujourd'hui les communs. 

Ce sont tous les bâtiments avec les portes rouges qui entourent le château.
Les communs abritaient au 1er étage les domestiques et au rez de chaussée, un chai, une écurie, un boulanger, un boucher, un abattoir et un poulailler. Cela permettait à la famille Eyquem de vivre en autarcie sur le domaine, un mode de vie sûr puisqu'ils étaient catholiques sur un territoire majoritairement protestant.

Michel Eyquem de Montaigne en hérite et s'y installe en 1571.
 Les Montaigne se succèdent jusqu'en 1811. La famille ruinée est contrainte d'abandonner ses terres et de fuir à l'étranger.

Entre 1811 et 1860, deux familles de propriétaires se succèdent mais n'ont pas les moyens nécessaires pour entretenir le château qui tombe à l'abandon.

En 1860, Pierre Magne, ministre des finances sous Napoléon III, rachète le domaine et transforme la maison forte en château de plaisance.

Il décède en 1879, sa fille Marie Magne hérite du domaine. En janvier 1885, un incendie ravage entièrement le château.

Marie Magne se donne pour objectif de reconstruire le château en 1 an, ce qu'elle réussira à faire.

Elle apporte quelques modifications et ne reconstruit pas le 3e étage.
Elle avance aussi la façade de quelques mètres afin de créer un hall d'entrée et deux galeries. Elle fait aussi ajouter des éléments de décor sur la façade avec au-dessus de la porte, sur la gauche l'armoirie de Montaigne "Que sais-je ?"et au dessus un plaque commémorative de l'incendie.


Elle ajoute la lettre "M" au dessus de certaines fenêtres en rappel aux noms de Montaigne et Magne.



Aujourd'hui c'est la famille Mähler-Besse, descendants directs de Pierre Magne qui possèdent le château.



L'ensemble du château, comprenant la cour, les bâtiments qui la ferment, l'ancien moulin, les parcelles du parc entourant le château avec ses murs et terrasses, le portail du jardin et l'allée menant au village, a été inscrit Monument Historique par arrêté du 29 octobre 2009.

À l’inverse de la tour de Montaigne, massive et médiévale, le château est une demeure de prestige, tournée vers l’art de vivre aristocratique à partir du XIXᵉ siècle.

Nous pouvons en visiter une partie, mais nous ne pouvons pas prendre de photos.
Je vais tenter une description.

Dès le vestibule, le regard est attiré par l'impressionnant grand escalier en pierre claire avec sa rampe en fer forgé.

Dans la cage d'escaliers éclairée par de hautes fenêtres, garnies de vitraux aux teintes rouges, bleues et dorées, se trouvent des portraits de famille et des bustes qui rappellent la mémoire des Montaigne et de leurs successeurs. Il est la colonne vertébrale de la demeure.

Suspendu au plafond, un grand lustre en fer et cristal descend au cœur de la cage d’escalier.

Nous arrivons à un large palier rectangulaire, qui distribue vers les pièces nobles du premier étage. Il est orné de portraits, boiseries et bustes, et notamment sur une console, un buste en marbre de Montaigne.

La salle à manger est une pièce ample et haute de plafond, avec de larges fenêtres à petits carreaux, les murs sont décorés de boiseries Renaissance avec panneaux sculptés.

La pièce est chauffée par une cheminée monumentale en pierre sculptée.

Au milieu de la pièce une table longue et massive, en chêne entouré de chaises à haut dossier, en bois.

Des vaisseliers chargés de faïences et porcelaines, témoignant de l’art de recevoir au XIXᵉ siècle.

Après la salle à manger se trouve le grand salon qui est une pièce vaste et lumineuse, au plafond haut. De grandes fenêtres s’ouvrent sur le parc.

Les murs sont ornés de boiseries élégantes et de tableaux de famille.

La cheminée monumentale en pierre sculptée est surmontée d’un grand miroir doré.

Le mobilier est composé de canapés et fauteuils, de tables basses et guéridons en marqueterie, un piano, des vases en porcelaine, pendules en bronze doré, des bibelots.

Au centre de la pièce un lustre en cristal.

C’est dans le salon que les invités prenaient place après les repas pour converser, jouer de la musique ou discuter de politique et de littérature.

Au XIXᵉ siècle, ce salon incarnait la sociabilité aristocratique et bourgeoise, un espace de représentation autant que de détente.

Après le salon nous entrons dans la bibliothèque qui est une grande salle rectangulaire à l'ameublement et à la décoration imposants.

Les murs sont tapissés de livres reliés de cuir, aux dos dorés.
Des rayonnages en bois sombre courent sur les murs tout autour de la pièce, jusqu’au plafond.
On atteint les livres des étagères supérieures grâce à des échelles mobiles.

Aux murs, quelques gravures historiques ou portraits d’auteurs.

Sur les consoles et tables, des globes terrestres, des bustes d’écrivains ou de philosophes.

C'est une pièce de prestige destinée à montrer la culture et le raffinement de la famille.

Les chambres reflètent le confort bourgeois de l’époque. Ce sont des pièces rectangulaires en enfilade, spacieuses et luxueuses.

Elles comportent des lits doubles, armoires ou commodes, bureaux, fauteuils.... Des vêtements d'époque sont conservés.

Nous quittons le château où les pièces témoignent du mode de vie aristocratique et de l’évolution architecturale du domaine.
Chaque salle raconte une partie de l’histoire familiale, c'était un moment d’histoire et de raffinement

Nous terminons la visite du domaine par la dégustation des vins du domaine.

Les registres témoignent que Michel de Montaigne exploitait la vigne pour sa consommation et le commerce local. La culture a été poursuivie après lui, et le domaine a gardé une vocation viticole jusqu’à aujourd’hui.

Le domaine viticole s'étend sur environ 20 à 25 hectares de vignes. Certaines parcelles sont travaillées selon des méthodes proches du bio.





Le domaine propose :
Château de Montaigne rouge : souple, fruité, notes de fruits noirs.
Château de Montaigne rosé : frais, léger, parfait pour l’été.
Château de Montaigne blanc sec : vif, floral, à base de sauvignon.
Monbazillac (liquoreux) : élaboré avec les cépages blancs.
On trouve aussi quelques cuvées spéciales, en hommage à Montaigne, avec un travail plus poussé d’élevage en barriques.

Le domaine se trouve à la frontière du Bordelais, et fait partie de l’appellation Bergerac (Sud-Ouest).
Il perpétue un lien culturel et historique avec Montaigne.


Le domaine de Montaigne n’est pas qu’un château, c’est un haut lieu littéraire.

La visite illustre deux époques :
La Renaissance, époque de Montaigne et de sa philosophie humaniste. La tour restant le cœur émotionnel et intellectuel du château.

Le XIXᵉ siècle, époque de restauration, de confort bourgeois et de mise en valeur du patrimoine.

C’est aussi un site viticole vivant, reliant patrimoine intellectuel et terroir.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette, Anne et Gérard Gleyze













Voici les points principaux :

🏰 Histoire du lieu

  • Le château acquis par la famille Eyquem en 1477, est la demeure de Michel de Montaigne.

  •  La tour de la librairie, où il écrivit et grava des maximes sur les poutres, est le seul vestige de son époque

  • Michel de Montaigne (1533-1592), célèbre philosophe humaniste et écrivain, y est né, y a vécu et y est mort.

  • L’édifice médiéval a subi des transformations au fil des siècles, le reste du château a été ravagé par un incendie en 1885 et reconstruit dans un style néo-Renaissance

📚 La célèbre « Tour de Montaigne »

  • C’est l’endroit le plus authentique et le plus marquant du domaine.

  • Montaigne s’y était aménagé une bibliothèque au dernier étage, où il a rédigé et corrigé les Essais.

  • Les poutres portent encore des inscriptions latines et grecques qu’il avait fait graver comme sources d’inspiration et de méditation.

  • La tour comprend aussi une chapelle et une chambre où Montaigne passait de longs moments de retraite.

🌳 Le domaine

  • Autour du château s’étendent des vignobles (l’AOC Côtes de Montravel et autres vins de Bergerac).

  • Le parc et les jardins permettent une promenade dans un cadre paisible, marqué par l’histoire.

🎟️ Visite aujourd’hui

  • Le château et la tour appartiennent à une famille privée, mais ils sont ouverts au public pour des visites guidées.

  • La visite inclut généralement : la tour (bibliothèque, chapelle, chambre), des explications sur la vie et la pensée de Montaigne, et la découverte du château reconstruit au XIXᵉ siècle.

  • Des événements culturels et des expositions temporaires sont aussi organisés.

✨ Intérêt culturel

Le site est à la fois :

  • un lieu littéraire et philosophique majeur, car Montaigne y a conçu son œuvre,

  • un témoignage historique sur la vie d’un seigneur humaniste du XVIᵉ siècle,

  • une destination touristique et viticole de la Dordogne.

vendredi 22 août 2025

La maison de Cocteau à Milly-la-Forêt dans l'Essonne et la chapelle des simples


Le 07 juin 2025, avec Bernadette et Jacques nous découvrons le jardin des "simples" et la chapelle Saint Blaise des "simples" ainsi que la maison de Jean Cocteau situés dans la commune de Milly-la-Forêt, petit bourg pittoresque du parc naturel régional du Gâtinais, à une soixantaine de kilomètres au sud de Paris, dans le département de l’Essonne.

Nous débutons notre visite par le jardin des "simples" et la Chapelle Saint Blaise des Simples, décorée par Cocteau en 1959.

La chapelle Saint Blaise des Simples a été construite au XIIᵉ siècle en dehors des remparts de Milly-la-Forêt.


Elle faisait partie d’une maladrerie c'est à dire un hospice pour lépreux, dédiée à Saint Blaise, médecin et évêque arménien, devenu le saint patron des guérisons de la gorge et des soignants.

Comme c’était l’usage, un jardin de "simples" était cultivé pour soigner les malades.

 Le terme "simples" désigne les plantes médicinales utilisées au Moyen Âge pour soigner les malades grâce à des remèdes naturels.

Après la disparition de la lèpre et la fermeture progressive des maladreries, la chapelle a perdu sa fonction. Elle a été laissée à l’abandon et est tombé en ruine au fil des siècles.

Elle a été classée Monument Historique en 1926, ce qui a permis sa préservation.

En 1959, le maire de Milly-la-Forêt demande à Jean Cocteau, de décorer la chapelle.
Ce dernier attaché à la symbolique des lieux, accepte et réalise des fresques murales à la chaux sur le thème des "simples".
 Ces motifs muraux rappelant la tradition de culture des Simples à Milly.

L’œuvre inclut aussi des fresques représentant la Résurrection du Christ, accompagnées de dessins symboliques, comme un chat ou un ange, signature visuelle de l'artiste.

Il a ainsi transformé la chapelle en un lieu à la fois spirituel, poétique et personnel.

Cocteau a exprimé le souhait d’y reposer. A sa mort, en 1963, il a d’abord été enterré à Poissy, mais en 1964, son cercueil a été transféré dans la chapelle.
Sa tombe se trouve à l’intérieur, marquée par une simple dalle portant cette inscription manuscrite "Je reste avec vous ".

Plus tard, son fils adoptif et héritier artistique Édouard Dermit (1930-1995) a été inhumé à ses côtés.

Nous n'avons pas pu visiter l'intérieur de la chapelle qui est en cours de restauration.
Travaux qui consiste à restaurer les peintures intérieures (dépoussiérage, consolidation, reprise en conservation et harmonisation pour les décors originaux.




Dans les années 1970, un jardin de simples a été recréé à l’extérieur, en écho aux fresques de Cocteau.

Le jardin a été recomposé dans l’esprit des jardins monastiques et hospitaliers médiévaux, rappelant que la chapelle appartenait à une ancienne maladrerie accueillant des lépreux.

Il est clos et organisé autour de plates-bandes où sont cultivés des plantes aux vertus médicinales traditionnelles.

On y trouve des espèces comme : menthe, valériane, sauge, millepertuis, belladone, digitale, jusquiame, pavot, absinthe, thym, mélisse…

Aujourd’hui, la chapelle et son jardin sont un lieu de mémoire, mêlant patrimoine médiéval, art moderne et hommage à Cocteau.

Fuyant l’agitation parisienne, Jean Cocteau s'installe en 1947 dans une grande maison du XVIIe siècle, au cœur d’un vaste jardin à Milly-la-Forêt dans l'Essonne.

 Il écrit : "C'est à Milly que j'ai découvert la chose la plus rare au monde : un cadre".

"C'est la maison qui m'attendait. J'en habite le refuge, loin des sonnettes du Palais Royal. Elle me donne l'exemple de l'absurde entêtement magnifique des végétaux. J'y retrouve les souvenirs de campagnes anciennes où je rêvais de Paris comme je rêvais plus tard, à Paris, de prendre la fuite. L'eau des douves et le soleil peignent sur les parois de ma chambre leurs faux marbres mobiles. Le printemps jubile partout" (La difficulté d'être, 1947)

Cette demeure, flanquée de tourelles était appelée la maison du Gouverneur. Elle correspond à une ancienne dépendance duc château devant laquelle les vassaux venaient rendre hommage et foi à leur Seigneur.

Il y a vécu avec Jean Marais jusqu'à leur séparation en 1952, puis avec l’acteur Édouard Dermit, son compagnon et héritier, jusqu'à sa mort en 1963.

Cocteau aimait y recevoir ses amis, Jean Marais, Picasso, Dufy, Satie, Colette, Coco Chanel ...

La période à Milly-la-Forêt est l’une des plus marquantes de sa vie, notamment sur le plan artistique et spirituel.

Jean Cocteau est né le 5 juillet 1889 à Maisons-Laffitte, près de Paris.

Il fréquente les milieux artistiques dès l’adolescence et se lie avec des poètes et artistes de Paris. Il est passionné de littérature, de peinture et de théâtre dès son jeune âge.

C'est un artiste à la fois poète, romancier, dramaturge, cinéaste, peintre et décorateur.

Ses thèmes récurrents sont le mythe, l'amour, la mort, le rêve, l'enfance, le fantastique.

 C'est une figure centrale des avant-gardes français du XXᵉ siècle. Il a profondément influencé le cinéma, le théâtre et la littérature modernes.

Il décède le 11 octobre 1963, à Milly-la-Forêt, le même jour que son amie Edith Piaf et repose à la chapelle Sainte Blaise des Simples, décorées par ses sons en 1959.

La façade sur rue et la toiture sont inscrites à l'Inventaire des Monuments Historiques depuis 1969.

Sa maison a conservé son mobilier, ses objets, ses dessins et ses fresques. On peut y visiter son bureau, sa chambre, son atelier, ainsi que des expositions temporaires.

Elle est aujourd’hui transformée en musée, mais elle a conservé son atmosphère intime.

La visite débute par l'atelier installé dans une grande pièce lumineuse au rez de chaussée.

On peut y voir une disposition dense d’objets, des dessins, des livres, des photos et des croquis accrochés ou posés qui reflète l’atmosphère créative et personnelle de l’univers de Cocteau.

Les murs portent encore des dessins et esquisses de Cocteau, car il avait l’habitude de gribouiller directement sur les surfaces qui l’entouraient.

On y retrouve ses outils de travail, chevalets, pinceaux, encres, objets personnels.

Cocteau y écrivait, dessinait, peignait et recevait ses amis artistes.




Il avait aussi installé une petite scène de théâtre miniature aménagée dans une pièce attenante, presque comme un décor intime.

 Il l’utilisait pour expérimenter ses mises en scène, tester des effets de lumière et imaginer ses œuvres théâtrales.

Le rez-de-chaussée abrite également le Grand Salon, espace richement décoré où Cocteau recevait ses invités.

C'est un véritable cabinet de curiosités où se mêlent élégance baroque, influences éclectiques et touches personnelles de l’artiste.

Le mobilier est d’inspiration baroque, avec des fauteuils en bois doré, des canapés aux tissus riches et des tapis orientaux aux motifs complexes.

De grandes fenêtres ouvrent la pièce sur le jardin.

Les murs sont habillés de papiers peints aux motifs léopard, une signature de Castaing, apportant une touche d’exubérance.

Madeleine Castaing (1894–1992) était une antiquaire, décoratrice et mécène française, renommée pour avoir révolutionné l’art de la décoration au XXᵉ siècle.

Le salon est orné d’une toile magistrale de Christian Bérard, ami de Cocteau, qui illustre l’amitié et les échanges artistiques entre les deux hommes.

Christian Bérard (1902–1949), surnommé affectueusement Bébé, était un peintre français, décorateur de théâtre et de cinéma, illustrateur et créateur de costumes.

Des sculptures, des objets chinés lors de voyages et des souvenirs personnels parsèment la pièce, témoignant de la richesse du parcours de l’artiste.

Parmi les pièces maîtresses, on trouve le soleil doré symbole de lumière, de chaleur et de créativité, des thèmes récurrents dans l'œuvre de Cocteau, offert par Coco Chanel, suspendu au-dessus de la cheminée.

Les mains moulées de Jean Cocteau et Jean Marais, symbolisant l’union artistique et personnelle entre Jean Cocteau et Jean Marais.

La chouette, souvent associée à la sagesse et à la nuit, est l'un des nombreux animaux qui peuplent la maison de Cocteau. Elle s'ajoute à une collection variée comprenant des sculptures de poules, de faons, un cheval de manège, ainsi que des objets insolites comme un encrier en forme de chien.


Le cheval de bois se distingue par sa présence ludique et son évocation du monde de l'enfance. Il s'inscrit dans un "bestiaire enchanté" où se côtoient sphinges, sirènes et autres créatures fantastiques.

La sculpture de la tête de bélier est à la fois décoratif et symbolique, n’est pas une simple sculpture animalière. Elle a été transformée en nécessaire à opium.

Le pied d’éléphant témoigne de l'intérêt de Cocteau pour les objets insolites et symboliques.


Au premier étage, le bureau rempli de photos et de souvenirs est le lieu où il écrivait et dessinait. 

Les murs sont tapissés de papier à motif léopard, une touche personnelle qui reflète son goût pour l’originalité.

Ce bureau témoigne de son processus créatif et de son amour pour les arts.



La chambre simple et élégante est un espace intime, décoré avec soin.

 Le mobilier, les objets personnels et les œuvres d’art qui y sont exposés offrent un aperçu de sa vie quotidienne et de ses inspirations.



Portrait en buste de Jean Cocteau par marie Laurencin_huile sur toile, 1921

La maison abrite une collection d’œuvres de Cocteau, notamment des dessins, des peintures, des affiches et des sculptures.

On trouve aussi des oeuvres de Picasso, Warhol, Modigliani et Man Ray qui témoignent de ses relations avec d’autres artistes.











Après la mort de Jean Cocteau en 1963, son ami et héritier Édouard Dermit a veillé à la conservation de la maison et de ses objets.

Elle a été ouverte au public en 2010, permettant aux visiteurs de découvrir l’univers de l’artiste dans son cadre originel.

La demeure est située dans un grand parc arboré, d’environ 2 hectares, clos de murs, ce qui lui donne une atmosphère intime et protégée.

Il est traversé par un paisible cours d’eau, correspondant aux anciennes douves du château de la Bonde, situé à proximité.

Ce ruisseau est un des bras de la rivière École.

Jean Cocteau en était particulièrement fasciné, il écrit, « l’eau des douves et le soleil peignent sur les parois de ma chambre leurs faux marbres mobiles ».

Ces petits canaux contribuent à créer une belle ambiance, avec des ponts pittoresques et de jolis reflets


Le jardin est agrémenté de massifs floraux, et de plates-bandes soignées.

On y trouve des pelouses ouvertes, des massifs fleuris et des coins plus ombragés où l'on peut prendre le frais, se reposer et méditer sur des bancs.

Des rosiers grimpants, des hortensias, des iris, des capucines, des pivoines et bien d’autres plantes vivaces colorent les allées.




Certaines zones ont un aspect plus sauvage, presque champêtre, contrastant avec les parties ordonnées.


En écho à l'exposition du FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain) sur "le Moyen-Âge réinventé", deux figures grandeur nature, Vierge d'Ile de France nord et Vierge d'Ile de France Sud de Michel Charpentier (1927-2023).

Elles ont pour toile de fond les murs du vieux château qui jouxtent le jardin, faisant le lien entre les Vierges à l'enfant des portails des cathédrales et l'origine médiévale du château.


Charpentier et Cocteau se connaissait. Ils avaient tous deux une vision sur l'humanité souffrante et étaient attirés par le sacré.

Le silence, le parfum des fleurs et la présence des grands arbres en font un refuge poétique qui reflète bien la personnalité de l’artiste.

Cocteau aimait s’y promener et y recevoir ses amis.

Il aimait dire que ce jardin était son lieu de méditation, un prolongement de sa création.

Aujourd’hui, le parc est ouvert aux visiteurs en même temps que la maison. 

Il est entretenu de manière à préserver l’atmosphère des années 1950-60, telle que Cocteau et ses proches l’ont connue.

On y ressent encore une grande sérénité, l’atmosphère est paisible, propice à la promenade et à la méditation.

Poète, dramaturge, cinéaste, dessinateur, Cocteau a traversé tous les arts avec la même force visionnaire.

C'est à Milly-la-Forêt qu'il a trouvé son refuge.

La demeure du Bailli, a été son atelier, son lieu d’amitiés, de rêves et de créations.

 La chapelle Saint-Blaise-des-Simples, qu’il a décoré, est devenue son ultime demeure, entourée par les plantes médicinales et ses fresques poétiques.


Texte de paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze