mardi 25 novembre 2025

Alina Szapocznikow : langage du corps_exposition musée de Grenoble

 

 Le 18 novembre 2025, avec l'association Malentendants 38 nous effectuons la visite de l'exposition "Alina Szapocznikow : langage du corps" qui se tient au Musée de Grenoble, avec notre excellent guide Eric Chaloupy.

 

De grandes rétrospectives récentes de cette artiste ont eu lieu au MoMA (New York), au WIELS (Bruxelles), au Centre Pompidou, au Hammer Museum (Los Angeles)…

Nous pouvons voir cette exposition du 20 septembre 2025 au 4 janvier 2026.

Alina est née le 16 mai 1926 à Kalisz, en Pologne, dans une famille juive.
Son père est dentiste et sa mère est psychiatre. Elle est issue d’une bourgeoisie intellectuelle ouverte sur la culture.

Son enfance est relativement paisible jusqu’à l’invasion nazie en 1939.

Les années 1939–1945 sont le coeur sombre de sa biographie. En 1940, elle et sa famille sont déplacées dans le ghetto de Pabianice, puis dans celui de Łódź. Elle est ensuite déportée dans plusieurs camps, Pszczyna, Auschwitz-Birkenau, Bergen-Belsen avec sa mère.

Elle y survit dans des conditions extrêmes de ses 14 à 19 ans. Sa mère meurt pendant cette période. Son père est probablement tué plus tôt pendant la guerre.

Cette expérience de la désincarnation, de la maladie, de la faim, de la déshumanisation restera au cœur de son travail.

Elle déclarera plus tard : « Après la guerre, il ne reste plus rien du corps : seulement sa mémoire. »

Après la Libération en 1945, elle se rend à Prague, en Tchécoslovaquie, où elle étudie la sculpture à l’École des Arts appliqués puis à l’Académie des Beaux-Arts. Elle y reçoit une formation classique fondée sur le modelage et la sculpture figurative.

Elle fréquente les milieux artistiques de Prague, rencontre des étudiants et intellectuels marqués comme elle par la guerre.

En 1949, elle épouse l’artiste tchèque Ryszard Stanisławski, qui deviendra plus tard un critique et commissaire influent.

Le couple s’installe à Varsovie, en plein régime communiste. Alina devient rapidement une figure singulière dans le paysage artistique réaliste-socialiste.

Elle réalise des sculptures monumentales de type commémoratif, souvent dans le style officiel, mais elle se sent limitée, elle aspire à expérimenter davantage.

Elle expose beaucoup et commence à se faire un nom, en même temps, sa santé est fragile, elle souffre déjà de douleurs chroniques possibles séquelles des camps.

En 1956, elle obtient un visa et part pour Paris, qui deviendra sa terre d’adoption. Elle découvre l’avant-garde parisienne : Nouveau Réalisme, Pop Art émergent, Art Cinétique.

Elle commence à utiliser des matériaux industriels, notamment le polyester, encore rarement employé en sculpture et développe des pièces de plus en plus personnelles, mêlant sensualité et inquiétude.

C’est dans la décennie de 1960 que son style se forme pleinement avec ses sculptures de fragments du corps, bouches, seins, hanches moulés sur des corps vivants, parfois sur le sien.

Elle fabrique des lampes-bouches, lampes-seins, hybrides entre sculpture et objets domestiques.

L’œuvre devient à la fois érotique, humoristique, traumatique.
C'est aussi l'apparition d’excroissances, de masses travaillées, de formes molles. Ces objets anticipent des thématiques du post-minimalisme et du body art.

En 1968, on lui diagnostique un cancer du sein.

Ce choc donne naissance à plusieurs séries :
Tumeurs : formes informes en résine translucide.
Photosculptures : combinaison de photos de son corps malade et de matériaux organiques.
Dessins tardifs, très sombres, souvent proches du journal intime.

La maladie devient un motif de réflexion sur l’éphémère, la déformation, la disparition.

De 1970 à 1973, malgré l’aggravation de son état, elle poursuit un travail extrêmement intensif avec le développement des Desserts c'est à dire des petites sculptures étranges, ironiques, comme des assemblages culinaires en résine, des sculptures gigantesques et charnelles, mêlant humour noir et fin du corps et un travail photographique intime et expérimental.

Elle meurt à Praz-Coutant, en France, le 2 mars 1973, à seulement 46 ans.

La première salle est consacrée à la présentation de l'artiste, de sa vie, de son oeuvre et de l'organisation de l'exposition.

Organisée avec en partenariat avec le Kunstmuseum de Ravensburg, l'exposition présente un parcours chrono-thématique, réunissant plus de 150 oeuvres et près de 50 documents et photographies d'archives, jalonnant sa carrière de 1946 à 1973 dans 15 salles.

La première partie de l'exposition est consacrée à sa formation à Prague (1946-1947) et ses années en Pologne (1951-1952). Marquée par le modernisme tchèque et le surréalisme, elle adopte l'esthétique du Réalisme socialiste avant de se tourner vers une création existentialiste.

La seconde partie de l'exposition, est dédiée aux années parisiennes (1963-1973), les plus expérimentales.
Elle réalise l'essentiel de son oeuvre à Paris et à Malakoff, où elle s'installe définitivement en 1963.

Le corps féminin, moulé, fragmenté devient l'essentiel de sa production, interrogeant la place de la femme dans la société des années 1960.

Elle réalise des assemblages mécaniques, conçoit des oeuvres en série aux confins du design, imagine d'étranges fétiches.

Atteinte d'un cancer, elle aborde dans ses dernières séries la question de la mémoire, de la maladie et de la finitude.


Dans la salle suivante, intitulée de Prague à Varsovie : du réalisme socialiste à l'affranchissement expressionniste se trouvent les oeuvres de 1946 à 1958 de sa période d'études à Prague avec l'influence du modernisme tchèque.

On y voit des sculptures plus "classiques" ou figuratives.

Alina Szapocznikow passe sa jeunesse dans les camps de concentration. Libérée du ghetto tchèque de Terezin, le 7 mai 1945 à l'âge de 19 ans, elle choisit de rester vivre en Tchécoslovaquie.

Inscrite à l'école d'art et d'industrie de Prague elle se forme à la sculpture classique (taille de pierre, sculpture en bronze) auprès de sculpteurs tchèques de renom.
La tradition nationale baroque et le surréalisme imprègne son imaginaire.

Puis, le dynamisme de Paris d'après guerre l'attire.
Etudiante à l'Ecole des Beaux Arts (1948-1951), elle travaille dans l'atelier de du sculpteur art déco, Paul Niclause et découvre l'effervescence artistique de la capitale.
Elle y rencontre son futur mari, Ryszard Stanislawski.

De retour en Pologne, sous le joug communiste, elle répond à de nombreuses commandes de l'Etat (Monument à l'amitié polono-soviétique aux héros de Varsovie, aux victimes d'Auschwitz. Pendant une courte période elle embrasse l'enthousiasme du Réalisme Socialiste.
Après la mort de Staline en 1953, sa sculpture se libère de l'esthétique du régime.

Elle écrit en 1972 "Mon oeuvre puise ses racines dans le métier de la sculpture. Pendant des années, je me suis livrée à l'étude des problèmes d'équilibre, de volume, d'espace, d'ombre et de lumière".



Le portrait de Barbara Kusak est un buste en plâtre peint à l'aide de trois couleurs primaires. Il s'agit d'une amie de l'artiste.

Portrait de Barbara Kusak_1955_plâtre coloré_Germanisches National muséum, Nuremberg, Allemagne

Glowa Mlodzienca_Tête de jeune homme_1957_plâtre patiné_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Glowa Chlopcaca_Tête de garçon II_1952-1953_plâtre _Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

A Varsovie, elle est hébergée dans les entrepôts du bureau Central des Expositions Artistiques, puis se voit attribuer un logement par l'Etat en contrepartie de sa collaboration artistique à la reconstruction de la ville.

A la fin des années 1950, elle participe à plusieurs concours pour des mémoriaux en mémoire de l'holocauste.

Le monument ci-dessous est créé en mémoire des soulèvements dans le ghetto de Varsovie en 1943.
Les travaux de la 2e moitié des années 1950, dégagent une forte charge émotionnelle.

Le critique d'art Pierre Restany souligne "l'expressionnisme inhérent à la nature profonde d'Alina Szapocnikow".

Le motif dramatique de la main tendue qu'elle imagine pour ce projet est repris pour un autre projet commémorant le camp d'Auschwitz en 1958.
Avec ses doigts crispés, la main gigantesque et implorante est ouverte vers le ciel.
Monument aux héros du ghetto de Varsovie_1957_plâtre patiné_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Mains I, Esquisse pour le projet du monument d'Auschwitz_1958_Plâtre patiné_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Parmi les oeuvres de jeunesse, "Âge difficile" compte parmi les plus marquantes.

La sculpture à rebours de la conception communiste de l'intime, donne à voir une nouvelle vision du corps féminin.

"Âge difficile" figure une jeune fille au seuil de l'âge adulte. C'est un nu aux hanches étroites et graciles, au corps dense et puissant.

Cette sculpture a dû paraître audacieuse après la mort de Staline.
"Âge difficile"_1956_Plâtre patiné_Musée d'art de Lodz, Pologne

Le dégel polonais amorcé entre 1953 et 1955 après la mort de Staline, marque la possibilité pour Alina de s'écarter du réalisme socialiste, tant en terme de régime de représentation que de sujets, corps adolescent en est une illustration.

Exposée au musée Rodin en 1956, "Premier amour" célèbre aussi le corps jeune d'une adolescente aux formes rondes.

Avec sa poitrine lourde et ses bras relevés au-dessus de la tête, Belle Femme, modelée en terre, est un prélude à l'idée de la partie pour le tout.

Ce principe de la métonymie corporelle constituera le substrat de l'oeuvre de l'artiste.

"Belle femme" est aussi l'annonce des expérimentations "matéristes" de l'artiste.

"Belle femme"_1956_Terre cuite_Musée d'art de Lodz, Pologne

Entre 1956 et 1961, Alina réalise une quinzaine de têtes, qui sont à rattacher à la réception de l'art informel en Pologne.

Après la mort de Saline, la Pologne communiste connaît un allègement temporaire de restrictions imposées par le régime.

En 1957, Alina se sépare de son premier mai, Ryszard Stanistawski. Le couple divorce l'année suivante. Elle s'installe avec son nouveau compagnon le graphiste Roman Cieslewicz à Varsovie.

Dans de nombreuses sculptures elle représente Roman reconnaissable par son crâne glabre.

Le technique ici est singulière. La surface irrégulière évoque les effigies de Giacometti et les têtes d'otage de jean Fautrier.
  
Tête de Glowa Romana_1956-1957_Bronze_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris
De 1955 à 1959 c'est le tournant existentialiste et informel.

Lors de son séjour à Paris elle découvre l'art fragmentaire d'Auguste Rodin, la sculpture de Giacometti et l'amitié de Germaine Richier qui ont de profondes répercussions sur son oeuvre.

A partir des années 1950, alors qu'elle est retournée vivre à Varsovie, sa création connaît un tournant existentialiste.
L'intégrité du corps et la verticalité sont mis à mal dans plusieurs sculptures.

"L'Exhumé" (1955-1957) présente un corps tronqué et souffrant, "Maria Magdalena" (1957-1958) et "Pnaça" (Celle qui grimpe) (1959) sont emblématiques de la dissolution des formes après guerre.

Avec "l'Exhumé", l'artiste rend justice au militant communiste hongrois Lâszlo Rajt, torturé à mort en 1949 dans le cadre des purges anti-titoïste du régime stalinien hongrois de Matyas Rakosi.

Les aveux forcés de Rajk et son procès sont suivis ensuite en Hongrie d'une répression.

Puis il est réhabilité dans la période de déstalinisation en Hongrie.

Avec "Exhumé", Szapocnikow utilise pour la première fois du ciment. Le matériau lui permet de modeler les membres du personnage et de déformer le corps pour lui donner un aspect de cadavre.

La sculpture est coulée deux ans plus tard dans du bronze.

"Exhumé" évoque les corps souffrants ou mourant qu'elle a pu observer dans les camps.

Cette sculpture invite à commémorer toutes les victimes de la guerre ou de la violence.
Exhumé_1955-57_Bronze_Musée de l'Indépendance de Varsovie, Pologne

Alina Szapocnikow réalise plusieurs sculpture en sable et en ciment à Varsovie après 1952.
Ces réalisations rappellent le ton "archaïque" de l'Ecole de Prague. Elles se distinguent par leur dimension informe.

Pnaça (celle qui grimpe) évoque un processus de croissance florale. Elle est créée au moment du concours pour le Monument aux Héros du ghetto de Varsovie.
Ici elle privilégie la fragilité au monumentalisme.


 

"Celle qui grimpe"_1959_Terrazzo_Musée national de Varsovie, Pologne

 En janvier 1958, Alina Szapocnikow achève de sculpter Maria Magdalena. Sensuelle et féminine, la sculpture est représentative de ses oeuvres de la fin des années 1950.

Avec des formes organiques, elle rompt avec la notion d'intégrité corporelle, déconstruit le mythe "de la mère polonaise" pour y substituer l'expression de la sexualité.
"Maria Magdalena"_1957-1958_Bronze_Musée National de Varsovie, Pologne .

Monstre II_1957_Structure métallique, plomb_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Relief II_1946_Bois_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

 Alors que les commandes publiques auxquelles répond l'artiste, sont imprégnées de l'esthétique réaliste socialiste, il y a une plus grande liberté dans ses dessins.

La première période d'Alina  Szapocznikow empreinte de sa formation classique, révèle sa parfaite connaissance du corps.

Elle dessine des nus académiques à partir de modèles vivants.

Le dessin l'aide à imaginer ses sculptures.

Homme nu agenouillé_vers 1948-1954_Lavis d'encre sur carton

_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Portrait d'une femme_1952_Encre sur papier_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

En 1950 Alina Szapocznikow s'installe avec son fils adoptif Piotr et son compagnon Roman Cieslewicz à Varsovie, elle est une artiste reconnue dans son pays.

En 1956, elle est sélectionnée pour l'élaboration du Pavillon polonais pour l'exposition universelle de Bruxelles.

Son atelier de Varsovie est le lieu d'expérimentations en tous genres. Après le ciment qui lui permet d'intégrer des matériaux exogènes et de prendre ses distances avec la pierre ou le bronze et de l'esthétique Réalisme Socialiste, l'artiste façonne des formes singulières en résine proches de la sculpture informelle comme "Eclaté" (1960), à laquelle sont rajoutés de l'ambre et des éléments métalliques.

Elle réalise des sculptures emblématiques comme "Dervisch", "Corrida II" et "le Mollusque" qui ont toutes la particularité de présenter des formes primitives et biomorphiques.

L'artiste cherche à faire palpiter la chair de ses sculptures.

"Eclaté" (1960) est l'une des premières sculptures qu'elle réalise en polyester, ici colorée avec des pigments foncés. La formation abstraite évoque une cage thoracique humaine, percée de tiges en métal.

Alina Szapocznikow exprime ici le récit de sa douleur avec le corps blessé et déchiré.

L'oeuvre est exposée à la 31e biennale de Venise, où l'artiste rencontre le critique d'art Pierre Restany.
Eclaté_1960_Polyester et métal_Collection privée suisse

Elle réalise plus de 600 dessins qui font écho à sa pratique sculpturale.
 
Le caractère intuitif leur donne la forme d'éléments viscéraux. 
A partir de 1960, elle réalise de nombreuses estampes uniques réalisées à partir d'une plaque de verre ou de métal enduite tantôt d'encre, tantôt colorée au crayon ou à l'aquarelle. Chaque dessin est une énigme.
Sans titre_vers 1959-1960_encre sur papier_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 
 
Sans titre_vers 1960-1961_encre et feutre sur papier_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Sans titre_vers 1960_encre sur papier buvard_Collection privée, Paris

Sans titre_vers 1961_Monotype et encre sur papier coloré_Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne, Paris

Croquis 2_vers 1959-1960_Pastel gras sur papier_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Croquis pour la sculpture "Métamorphose" 7_vers 1961_feutre de couleur sur papier_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

En 1962, l'année où elle représente son pays à la XXXIe biennale de Venise, Alina Szapocznikow réalise un moulage en plâtre de sa propre jambe : Noga (jambe).

Conçue avant son départ de Varsovie pour Paris où elle s'installe définitivement, cette oeuvre inaugure la technique inédite du moulage direct qu'elle développe tout au long de années 1960.

Son propre corps devient la matrice de son oeuvre.

Cette oeuvre exprime les paradoxes de sa création à venir, partagée entre Eros et Thanatos; l'érotisme et la prégnance de la mort. 


Formée à la sculpture traditionnelle, Alina Szapocznikow fait très tôt la découverte du plâtre et du moulage. 
Le premier essai d'empreinte en plâtre d'Alina Szapocznikow qui soit conservé est un masque mortuaire de son ami affichiste, Tadeusz Trepkowski (1954).

Le premier moulage de son corps est sa jambe. Ce sera le point de départ de sa pratique de moulage direct.
Si la pratique du moulage date de 1962, les moulages de l'artiste ne seront rendus public en France qu'à partir de 1965.
Noga/jambe_1962_plâtre_Courtesy Galerie Hauser et Wirth, Suisse

Cette jambe est exposée comme un ex-voto ou une relique.

Comme un bijou monumental le bronze poli trône sur un bloc de granit noir.

Jambe_1962-1967_Bronze et granit_Musée d'art de Lodz, Pologne

Don Quichotte_1959_bronze_collection privée, France

Ballet_1958_bronze_Tet C collection, Paris

Alina Szapocznikow ne cesse d'incarner le drame qu'elle vit. Développé à la forme d'une fleur étrange. Elle évoque la croissance végétale avec sa forme biomorphique et son coeur en forme d'agrégat de chair rose.
Développé_1954_Bronze à patine noire, céramiques vernissées_Donation Eva et Denys Chevalier_Musée d'art et d'histoire de la ville de Meudon


Alina et son fils adoptif Piotr.

Au tournant des années 1950-1960, la fébrilité qui anime Alina est visible dans de petites sculptures informes qui sont des plombs malaxés. Leurs formes peu identifiables révèlent des oiseaux, des figures de femmes, de danseuses...

Figure de femme_1958-1959_Plâtre_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

A gauche : Belle_1966-1967_plomb_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris A droite : Pauvre femme_1966-1967_bronze_Courtesy Hauser et Wirth, Zurich, Suisse

Forme II_1964-1965_argile rose non cuite_Courtesy Hauser et Wirth, Zurich, Suisse

Au cours de l'automne 1963, Alina Szapocznikow s'installe à Paris avec son époux Roman Cieslewicz. Ensemble ils fréquentent le groupe libertaire Panique, composé notamment de Fernando Arrabal, Roland Topor. Elle conserve un goût affirmé pour l'humour noir. 

 Dans son atelier près du cimetière du père Lachaise puis à Malakoff, elle approfondit la principale innovation du moulage.

Dans les années 1960, elle redéfinit le langage de la sculpture dans un esprit expérimental.

Elle se livre à une pratique centrée sur son propre corps. C'est en 1963 qu'elle commence à réaliser des sculptures à partir de l'empreinte du bas de son visage.

La pratique du corps tronqué ne cesse de l'inspirer. Elle est marquée par la visite d'une exposition dédiée à la sculpture américaine au musée Rodin.

Sur la scène parisienne, le seul moulage remarqué est le pouce de César effectué à partir de son propre pouce, pourtant postérieur à l'invention d'Alina Szapocznikow.

Dans cette période de transition, le dessin à l'encre joue un grand rôle pour l'artiste, notamment dans ses études préparatoires à des sculptures dont témoignent le Développé.


Sans titre_1964-1965_bronze_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

 Le milieu des années 1960 est un moment d'effervescence créatrice pour Alina Szapocznikow.

 Elle découvre le nouveau réalisme et son chef de file Pierre Restany lui apporte tout son soutien. La société de consommation, la culture populaire et le cinéma lui inspirent des oeuvres majeures. Cette période est marquée par sa brève aventure avec l'assemblage mécanique.

Entre 1963 et 1965, la sculptrice incorpore des pièces automobiles, des machines industrielles dans des fragments corporels moulés dans le plâtre ou le ciment.

Elle semble annoncer la finitude de l'être humain.

"Machine en chair" (1963-1964), Homme instrument" (1965) "Goldfinger (1965) sont des corps mécaniques burlesques et inquiétants

En 1965, Marcel Duchamp rend visite à l'artiste et l'invite à concourir au prix de la Fondation américaine, William et Noma Copley, qu'elle remporte.

 
Philosophe_1965_bronze fondu en 2022_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Homme avec instrument_1965_ciment, métal (pièce automobile) et patine noire_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

Réalisé en 1965 dans l'atelier de Malakoff, "Goldfinger" est un clin d'oeil au film éponyme de James bond qui passe alors au cinéma et dont l'affiche montre le corps doré de l'actrice Honor Blackman.

Goldfinger _1965_assemblage de ciment, patine et métal_Musée d'art de Lodz, Pologne

Sans titre _1963-1965_feutre sur papier _Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris

                       

 Sans titre _1964_feutre sur papier quadrillé _Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris  

 
Sans titre_vers 1963-1965_Monotype et encre sur papier_Centre Pompidou, Musée national d'Art Moderne, Paris

En 1963, lors d'un voyage à Varsovie, Alina Szapocznikow moule la moitié inférieure de son visage, donnant forme à un autoportrait "aveugle" où seules ses lèvres sont visibles.
Ces visages en lévitation sont énigmatiques et surréalistes
Autoportrait_1966_bronze _Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 

Portrait multiple_1967_Résine de polyester coloré et granit_ASOM Collection

Autoportrait_1966_bronze _Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 

Sans titre_1964-1965_bronze_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 

La série des sculptures lampes employant des sexes masculins, débutée autour de 1967 et poursuivie jusqu'en 1970 est certainement sa production la plus insolente et inventive.
En lien avec un chimiste de Rhône Poulenc, elle étudie les propriétés de plusieurs polymères et polyuréthanes.



Fiancée folle balnche_1971_résine de polyester, tissus, support en plexiglas_Pinault collection

Bouche en marche_1966_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 

En 1968 elle effectue un moulage du ventre aux courbes voluptueuses d'une amie. Elle envisage à partir de celui-ci toute une production utilitaire en polyuréthane de petites tailles.
En 1969, elle réalise dans les carrières de Querceta en Italie deux Grands Ventres en marbre
Solitaire_1968_Polyuréthane_Musée national de Wroclaw, Pologne

Ventre-coussin_1968_Mousse en polyuréthane_Courtesy Galerie Loevenvruck, Paris 

 
 Solitaire_1968_Polyuréthane_Musée national de Wroclaw, Pologne

Noyée_1968_Polyuréthane_Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg, Allemagne

A partir de cette salle l'exposition bascule dans les oeuvres consacrées aux dernières années de sa vie.

L'épreuve du cancer qu'on lui diagnostique lui fait commencer sa série des sculptures sur les tumeurs.

Ces sculptures sont beaucoup trop poignantes, dures et "horribles" que je ne reproduit pas ici les oeuvres et ne relate pas les deux dernières salles.


Alina Szapocznikow a eu une trajectoire fulgurante, marquée par les traumatismes, le déracinement et une créativité radicalement innovante.


Longtemps restée en marge de l’histoire de l’art, elle est aujourd’hui
considérée comme une pionnière de la sculpture moderne, précurseur du body art et une artiste majeure de la réflexion sur le traumatisme, le féminin, la maladie et la mémoire corporelle.

Depuis les années 2000, de grandes institutions comme le MoMA, le Centre Pompidou, WIELS… ont contribué à sa redécouverte.

 

 Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze 




 




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