Le 08 janvier 2023, nous visitons le musée de la photographie de Marrakech installé dans un ancien fondouk (caravansérail).
La Maison de la photographie a ouvert ses portes en 2009. La collection a été rassemblée par Hamid Mergani et Patrick Manac'h, qui est aussi le fondateur et directeur du musée de la musique.
(voir article : https://ballades-page3873.blogspot.com/2023/01/voyage-au-maroc-marrakech-la-vie.html).
La collection est composée de photos originales sur le Maroc pour la période allant de de 1870 à 1960.
Ces photos montrent la diversité du Maroc, sa géographie, ses paysages, ses populations.
Le Maroc rassemble le Sahara et le Méditerranéen, des Arabes et des Berbères, des architectures arabes et juives.
Le fil conducteur de l'exposition est de montrer cette diversité et l'évolution de la photographie depuis l'origine jusqu'aux années 1960.
C'est Eugène Delacroix qui a fait rentrer Tanger dans l'imaginaire français. Il écrit en 1882, "Je suis en ce moment comme un homme qui rêve et qui craint de voir des choses lui échapper".
A cette époque le Maroc était fermé et Tanger était une ville internationale ouverte, commerçante et siège de la diplomatie.
On trouve à Tanger de nombreux photographes français, espagnols et écossais comme Wilson, Valentine, Mac Cleod, Thomson...
Les photos sont tirées sur papier albuminé. Il s'agit d'un procédé inventé par Blanquart-Evrard en 1847-1855. Le papier est recouvert d'une couche d'albumine et de sels d'argent. Le photographe mettait alors les feuilles ainsi traitées dans un bain de nitrate d'argent qui transformait la couche initiale en chlorure d'argent, c'est ce qui donne à la photo la couleur sépia.
Georges Washington Wilson et James Valentine étaient spécialistes des photos des scènes de genre, porteurs d'eau, portraits en pieds, mendiants...
Georges Washington Wilson_Portrait de femme juive, Tanger_Papier albuminé, environ 1880
Georges Washington Wilson_Mère et enfant sous le figuier_Tirage albuminé, environ 1880
James Valentine_Porteur d'eau, Tanger_Tirage albuminé, environ 1880
James Valentine_Femme assise_Tirage albuminé, environ 1880
Mac Leod_Mucisiens Gnaoua_Tirage albuminé, environ 1870
Les premiers portraits réalisés au Maroc l'ont été dans des ateliers installés à Tanger à partir de 1870. Alexander Cavilla est parmi les plus connus.
Antonio Cavilla_"Sidi el Hadji"_Tirage albuminé, environ 1880
Antonio Cavilla_Portrait d'un garçon_Tirage albuminé, environ 1880
Antonio Cavilla_Portrait d'homme, Tanger_Tirage albuminé, environ 1880
La maison de la photographie a choisi comme emblème le portrait de ce jeune homme. La puissance de cette photo est incroyable : solitude, souffrance. Le regard est intense. Des informations indiquent une origine subsaharienne, probablement un esclave.
Arévalo_Portrait de "Hamidou Laambre", 1885_Tirage d'exposition sur papier mat, 2020
Au Maroc, les premiers studios s'installent dans les années 1870-1880 avec Léon Darwin, V Hell, JP, Cavilla, les Lévy.
De nombreuses photos ont été prises en atelier, mais réalisées aussi en nature avec de très belles vues urbaines, architecturales.
Aujourd'hui ce sont de précieuses archives historiques.
Antonio Cavilla_Porte de la Kasbah, Tanger_Tirage albuminé, environ 1880_irage d'exposition sur papier mat, 2023.
Les Levy sont une dynastie de photographes. Georges Lévy et son beau-père, Moyse Léon achètent en 1864 les fonds Ferrier et Soulier, qui comprenaient des vues stéréoscopiques sur l'Egypte, la Syrie, Constantinople. En 1867, ils obtiennent des droits sur l'Exposition Universelle de 1867, en 1869 des droits sur la couverture du Canal de Suez.
Le catalogue des Lévy comprenait 30 000 vues du monde entier. Les deux fils Lévy, Abraham Lucien et Gaspart Ernest ont développé le marché de la carte postale, sous le signe L.L. en 1901. (issu du Dictionnaire des orientalistes de la langue française, article de Michel Mégnin)
Lévy et fils, monogrammé LL_Marché des jardins, Tétouan_Tirage albuminé, environ 1880.
Lévy et fils, monogrammé LL_Rue des babuchéros, Tétouan_Tirage albuminé, environ 1880.
Lévy et fils, monogrammé LL_Porte de la kasbah, Tanger_Tirage albuminé, environ 1880.
A partir de 1910 de nombreux photographes se sont installés au Maroc, Adolf de Meyer, Marcelin Flandrin, Henri La Martinière (1859-1922), Clérambault (1872-1934)...
Joseph Bouhsira a été le premier marocain a ouvrir un studio à Fès en 1913, puis il y a eu la production abondante des studios Souissi, et à partir de 1935 des photographes comme Züber, Denise Belon, Boucher qui se sont regroupés sous le label "Alliance Photo", créé par Maria Eisner.
Parmi les grands talents nous pouvons citer Hugo Bernatzik (1897-1953), Paul Almasy (1906-2003), André Steiner (1901-1978)
Thérèse Rivière (1901-1970) a parcouru le Maroc en 1937. Elle a allié la sensibilité et la précision d'une ethnologue.
Adolf de Meyer qui a marqué l'histoire de la photographie principalement à Tanger. Ses photos au charbon ont été présentées par Camera Work, et ont fait sa renommée.
Le tirage au charbon est un procédé d'Alphonse Poitevin inventé en 1855. C'est de la gélatine bichromatée et du pigment de charbon végétal.
La Maison de la Photographie possède une série de 800 plaques de verre prises en 1927 dans le Haut Atlas.
Les frères Lumière commercialisaient à partir de 1890 des plaques de verre dites "sèches".
La plaque de verre a été remplacée dans les années 1930 par la pellicule inventée par Georges Eastman.
Les frères Lumière ont inventé en 1903 l'autochrome. Il s'agit d'un procédé constitué de grains de fécule de pomme de terre, colorés avec les trois couleurs primaires. Les premiers autochromes ont été réalisés dès 1907 au Maroc par Jules Gervais-Courtelle, Gabriel Veyre, Lucien Roy...
Une salle est réservé au autochromes introduites au Maroc par Chouanard (1883- 1936) qui est parti au Maroc à l'âge de 20 ans avec le matériel des frères Lumière.
Fernand Bidon, de pseudonyme Félix, est né à Marseille en 1883 et a habité à Marrakech de 1912 à 1963 date de sa mort. Il a été un des premiers photographes résidents à Marrakech.
Il réalisa une œuvre d’inspiration humaniste. Il a travaillé occasionnellement pour les services de la résidence, dont une commande de 17 images de Marrakech montrant une ville pacifiée et calme.
Au milieu des années 30, il décide de cibler une clientèle aisée. Il améliore la qualité du papier de ses cartes postales et inscrit des légendes au dos. Cette collection de clichés prise entre 1913 et 1936 est éditée sous le nom de « Éditions d’Art Félix ».
Félix_Les remparts et l'Atlas, Marrakech_tirage argentique, environ 1920
Félix_Homme Juif, Marrakech_environ 1920
Marcelin Flandrin, a été le plus célèbre photographe de cette époque. Il a largement diffusé ses photos sur la société marocaine et son évolution.
Il est né à Bône (Algérie) en 1889 et mort à Casablanca en 1957. Il s'installe au Maroc en 1901 et effectue son service militaire en 1912 comme volontaire dans l'aviation, ce qui lui permet des vues aériennes qui seront publiées en 1921.
En 1924, ses photographies en héliogravure ont été publiées pour illustrer le Maroc dans l'ouvrage "Nord-Africa". Il a aussi été le photographe officiel de la famille royale du Maroc.
Il est le témoin des bouleversements de la vie marocaine du début du XXe siècle.
L'héliogravure est un procédé d'impression sur le principe de la gravure en creux.
Flandrin_Vue aérienne de Marrakech_Tirage aux sels d'argent_environ 1915_Tirage d'exposition sur papier mat, 2023
Flandrin_Fès, un coin du marché_environ 1920_Tirage d'exposition sur papier mat, 2023
Flandrin_Merdersa Ben-Youssef, Marrakech_environ 1920_Tirage d'exposition sur papier mat, 2023
Flandrin_Fès, Medersa Bounania_environ 1920_Tirage d'exposition sur papier mat, 2023
Flandrin_Gracieux fantômes_environ 1920_Tirage d'exposition sur papier mat, 2023
Flandrin_Contre-jour dans les souks, Fès_Tirage argentique, environ 1930
Flandrin_Femme et palmiers, Marrakech_tirage argentique_environ 1940
Flandrin comme Félix, Garaud... photographient les fondouks ou caravansérails.
Les textes arabes du Xe siècle désignaient les fondouks comme des auberges destinés à abriter les hommes, les marchandises et les animaux sur les routes caravanières qui reliaient l'Afrique saharienne au sud du Maroc.
Ils sont généralement construit en carré autour d'une grande cour qui permettait d'entreposer les marchandises, d'abriter les animaux de bât et les montures, et d'héberger les marchands et les voyageurs.
La cour centrale est bordée en rez-de-chaussée d'ateliers, d'écuries pour les chameaux et de chambres à l'étage.
Ce sont de véritables lieux d'échanges entre les artisans et les étrangers qui s'y rassemblaient.
Marrakech et Ghmat étaient d'importantes étapes.
Suite à l'effondrement du trafic caravanier, leur usage a évolué au cours des siècles. Aujourd'hui, ils servent d'ateliers à des artisans, de lieux d'exposition pour les artistes, de musées....
Marrakech compte aujourd'hui, quelques 140 fondouks et le roi Mohammed VI a prévu un plan de 40 millions de dirhams soit quelque 2,8 millions d'euros, pour leur rénovation.
Marcelin Flandrin Caravane dans la palmeraie_1930. Tirage d'exposition sur papier mat, 2019
Félix_Peseur public dans un fondouk,1929
Garaud_peseur public dans un fondouk, 1920. Tirage d'exposition sur papier mat, 2019
Nicolas Muller né en 1913 en Hongrie s'installe en France en 1938, à Tanger de 1939 à 1947, puis en Espagne de 1948 à 1968. Il a bénéficié de nombreuses expositions à Stuttgart, New York, Buenos Aires de 1972 à 1985, et une exposition anthologique au musée National des Arts Appliqués de Budapest en 1991.
Peu après l'ouverture de la Maison de la photographie en décembre 2009, Ana Muller la fille de Nicolas a visité l'exposition.
L'oeuvre importante de Muller était mentionné mais le musée ne possédait pas d'oeuvres de lui.
Suite à cela Ana Muller a fait don au musée de la série "Recuerdo a Marruecos". C'est la série qui est présentée au musée.
Nicolas Muller_Tanger_1941
Nicola Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Portrait d'homme, Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1942
Nicolas Muller_Tanger_1943
Nicolas Muller_Tanger_1944
Nicolas Muller_Tanger_1945
La photographie en couleurs a été officiellement présentée par Auguste et Louis Lumière en 1907 sous le nom d'autochrome Lumière. La couleur est obtenue par le mélange de grains de fécule de pomme de terre et les couleurs primaires, le vert, le rouge et le bleu. Chaque photo est une image unique.
Les autochromes étaient faites pour être vues en projection. La première reproduction sur papier pour le Maroc date de 1913.
La Maison de la photographie montre ce procédé par une série de plaques autochromes réalisées au Maroc.
Georges Chevalier_groupe d'enfants_Safi, 1926
Stéphane Passet_esclave soudanaise_Settat, 1912
Stéphane Passet_femmes juives_Mellah Fès, 1913
Stéphane Passet_Une épouse d'un soldat sénégalais_Fès 1912
Stéphane Passet_Portrait d'un soldat sénégalais_Fès, 1913
Stéphane Passet_Une épouse d'un soldat sénégalais_Fès, 1912
Georges Chevallier_femme et garçon_Taza, 1926
Stephane Passet_La Zaouia de Sidi Ahmed Tijani_Fès, 1912
Stéphane Passet_Un berbère de la tribu des branès_Meknassa Foukania, 1926
Gabriel Vyre_La citadelle de Chella_Rabat, 1907
Stéphane Passet_La place Jemâa el Fna_Marrakech, 1912
Henri Chouanard_porte d'entrée des Oudayas_Rabat, 1910
Georges Chevalier_Bab Segma_Fès, 1926
Nous avons vu également un riche et très beau documentaire de Daniel Chicault, "Les Berbères du Haut-Atlas", premier film en couleur de 1957. La reproduction est interdite, mais accessible sur le Net.
Ce documentaire ethnographique montre les paysages de la chaîne du haut Atlas.
Daniel Chicault est né en 1931 dans le Loiret. En 1951 il part faire son service militaire en Algérie, et est certifié photographe de l'armée. Après le service militaire, il est attiré par le Maroc et est vite intéressé par la volonté de "transmettre la mémoire d'une ethnie, celle des Imazighen (plus communément appelés Berbères), leur authenticité, le savoir-faire issu de leur ancêtres"
Daniel Chicault_Village de Butagradin_Tribu des Ait Lahcen, Moyen Seksaoua_fin avril 1957
Daniel Chicault_Jeune femme du village de Tasseli en Seksaoua_Mars-Avril 1957
Daniel Chicault_Tribu Seksaoua_Haut Atlas, printemps1957
Daniel Chicault_Si Ahmed Ou Ali en compagnie d'un jeune berger_Pays Seksaoua_tirage aux sels d'argent, 1957
Nous continuons notre parcours dans les salles et dans le temps. Nous arrivons à un époque plus récente avec les photos de Charles Henneghien (né en 1935 en Belgique).
Charles Henneghien est un médecin pneumologue qui a vécu au Maroc de 1962 à 1970.
il soigne les travailleurs des mines du Maroc tout au long de son séjour.
Il est autodidacte en photographie.
Il écrit : "Je suis arrivé au Maroc en 1962. J'y suis resté huit ans. Mon travail m'amenait à me déplacer dans les villages, au contact des "indigènes", comme certains disaient encore en ce temps là. J'avais appris assez d'arabe pour me distinguer des touristes. J'emportais des photos de mon village natal. Le soir à la veillée, elles passaient de mains en mains. Nos lourds chevaux de labour provoquaient des exclamations incrédules. " Chouf! " Regarde! Je montrais mon grand-père bêchant son jardin. " El bled di alik? " C'est ton village? J'étais un spécimen égaré d'une tribu de fellahs, loin au-delà des mers.
Ses photos montrent beaucoup d'empathie envers l'humain.
Parallèlement, à partir de 1971, il voyage en photographe professionnel. avec son épouse, Paulette qui participe à partir de 1978 à ces activités. Ils s'imposent dans le monde du journalisme, ils collaborent à la plupart des magazines de la presse périodique en Belgique et en France. Ils donnent des conférences avec montages audiovisuels qui obtiennent de nombreux prix.
Il a donné une collection importante de ses photos à la Maison de la Photographie.
Charles Henneghien_nomades_tirage aux sels d'argent, environ 1960_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_scolarisation des filles, Taourirt_tirage aux sels d'argent, 1965_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_enfant à l'école, Berkane_tirage aux sels d'argent, 1964_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_tirage aux sels d'argent, environ 1962_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_mine de cuivre, Djbl Klalh_tirage aux sels d'argent, 1962_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_mère et sa petite fille sous la tente_tirage aux sels d'argent, 1962_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_enfant portant une ardoise coranique_tirage aux sels d'argent, environ 1960_tirage d'exposition sur papier mat, 2022
Charles Henneghien_petite fille_Guenfouda oriental_environ 1960
Charles Henneghien_Garçon portant une ardoise en bois_Guenfouda oriental_Tirage aux sels d'argent, environ 1960_tirage d'exposition 2020
Charles Henneghien_petite fille et son frère, vallée de Dadès_tirage aux sels d'argent, environ 1960_tirage d'exposition 2020
Charles Henneghien_petite fille portant un agenau_environ 1960
Nous terminons notre visite à la Maison de la Photographie par la terrasse panoramique qui offre une vue exceptionnelle sur la médina et l'Atlas, aujourd'hui dans la brume (ou la pollution ?).
Cette exposition explore le temps, c'est une vraie vue ethnologique et géographique du Maroc. Les photographies exposées remontent aux prémices de la photo.
Tous ces photographes et leurs photographies mettent en lumière l'histoire, les coutumes et les traditions marocaines.
La Maison de la Photographie détient et expose une impressionnante collection de photos du XIXe et XXe siècle.
La visite de ce musée est un véritable voyage à lui seul, un moment magique, à ne pas rater si vous passez par Marrakech.
Texte de Paulette Gleyze
Photos de Paulette et Gérard Gleyze
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