vendredi 17 janvier 2020

Exposition Vivian Maier_musée de l'Ancien Evêché à Grenoble


Ce jeudi 09 janvier 2020 nous allons visiter l'exposition consacrée à la photographe Vivian Maier, au musée de l'Ancien Évêché de Grenoble qui se tient du 09/11/2019 au
15/03/2020.
Visite à l'initiative de Geneviève B... de l'association ARDDS et commentée par Sophie, guide de l'Office du Tourisme de Grenoble.
Nous pouvons admirer 130 photographies de Vivian Maier et découvrir sa vie.
La photo de l'affiche est une photo prise à Grenoble lors du dernier voyage de Vivian Maier en France


Ce commentaire est inspiré de la présentation de notre guide Sophie.

Qui était Vivian Maier ?

Sans John Maloof, Vivian Maier serait restée une parfaite inconnue.
John Maloof, jeune agent immobilier, qui s'occupe d'une société d'histoire locale est à la recherche de photographies pour illustrer un livre qu'il écrit sur son quartier de Portage Park à Chicago.
Il se rend aux enchères à la fin de l'année 2007. Croyant trouver ce qu’il cherchait il se porte acquéreur d'un lot de cartons pour 320$. Deux autres enchérisseurs achètent le reste des lots.

Il s'agit d'une partie des biens de Vivian Maier qui sont mis aux enchères car elle ne peut plus payer la location du box qu'elle utilise pour les stocker.

Quelle ne fut pas surprise de John Maloof de découvrir non pas ce qu’il attendait mais des photos, des films, des enregistrements audio, parfaitement rangés et classés, soit 120 000 négatifs, des centaines de film super 8 et 16 mm.

Il poste sur internet des photos pour voir les réactions du public.
Les retours sont très positifs. Parmi ces retours, un professeur d'art lui fait prendre conscience de l'importance de l'œuvre qu'il vient de découvrir.

Séduit par sa découverte, il mène l’enquête.

Il apprend que ces cartons appartenaient à une dame âgée et malade.
En avril 2009, il découvre dans un carton une enveloppe d’un laboratoire de photographie portant le nom de Vivian Maier écrit au crayon.
Il tape ce nom sur le moteur de recherche Google et apprend par un avis de décès paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune qu'elle est morte à l’âge de 83 ans.
Les frères Gensburg que Vivian Maier a élevés de 1956 à 1972 et qui se sont occupés d'elle dans les dernières années de sa vie, ont fait publier cette notice nécrologique :

« Vivian Maier, originaire de France et fière de l'être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l'ont connue.
Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. »

John Maloof se donne alors pour objectif de reconstituer la vie de Vivian Maier.
Il a recherché les familles chez qui elle a vécu et travaillé.
La partie française de sa biographie a été reconstituée grâce aux travaux de l'Association "Vivian Maier et le Champsaur", qui a procédé aux mêmes recherches de témoins de sa vie dans le Champsaur, la vallée d'origine dans les Hautes-Alpes de sa famille maternelle.

En 2015, John Maloof s'y rend pour rencontrer les derniers témoins et offre à la commune de St Julien en Champsaur une centaine de tirages. L'association "Vivian Maier et le Champsaur est créée quelques temps plus tard afin de valoriser ce fonds. Les images présentées dans cette exposition sont toutes issues de la collection de l'association.

Vivian Maier naît le 1er février 1926 à New York d’un père autro-hongrois, Karl Maier, et d’une mère française Marie Jaussaud née à St Julien en Champsaur (hautes-Alpes). Elle a un frère de 6 ans son aîné, Carl.
Elle a un an quand ses parents se séparent. Son frère est alors confié à ses grands-parents paternels.
La photographe Jeanne Bertrand, originaire également du Champsaur, accueille de son côté, Vivian et sa mère.

Sans argent, la mère de Vivian revient dans son village natal dans le Champsaur avec sa fille. Elle s’installe chez sa tante, Marie-Florentine Jaussaud. Elles y resteront 6 ans.

En 1938, elles repartent à New York. Vivian va vivre de divers travaux.
En 1950, Vivian hérite seule de sa tante Marie-Florentine.
Elle revient alors à St Julien en Champsaur pour liquider cet héritage, ce qui représente pour elle une formidable opportunité. Elle va pouvoir voyager et s’adonner à sa passion pour la photo avec l'appareil Kodak qu’elle s’achète.

En 1951, elle voyage à Cuba, en Californie, au Canada… et choisit de devenir gouvernante à New York pour gagner sa vie.

Après avoir changer d'appareil photo, c'est désormais avec un Rolleiflex qu'elle va photographier la vie quotidienne dans les rues de New York.

En 1955, elle déménage à Chicago et devient gouvernante dans la famille Gensburg. Ils mettent à sa disposition une chambre avec salle de bains qui deviendra son laboratoire photographique pour développer ses négatifs. Elle restera dans cette famille pendant 17 ans.

En 1959, elle demande une autorisation d’absence de 6 mois qu’elle va mettre à profit pour voyager autour du du monde : Thaïlande, Inde, Yémen, Egypte, Europe. Elle termine son voyage par l’Italie et la France à St Julien de Champsaur et à Grenoble. Après ce voyage elle ne reviendra jamais en France.
En 1960, elle rentre à Chicago et reprend son métier de gouvernante.
Après la famille Gensburg, elle va travailler de famille en famille et devient progressivement paranoïaque.

A partir de 1990, elle va classer et ranger sa collection de livres, de films et de ses 120 000 négatifs photos.
Elle est sans ressources, dans la misère et se retrouve dans la rue.
Les fils Gensburg la secourent et louent pour elle un appartement.
En 2009, elle a un accident en glissant sur une plaque de verglas et tombe sur la tête. Elle est hospitalisée et meurt à l’hôpital de Chicago quelques mois plus tard, le 21 avril 2009.

Vivian Maier utilise toutes les techniques, des cadrages inattendus, des images floues, des jeux de reflets, des jeux d'ombre et de lumière, des montages…

Elle photographie exclusivement dans la rue tous les genres, tous les sujets.
Elle photographie l'instant.
En pleine ségrégation raciale aux Etats-Unis, elle photographie les noirs, les hispanos, les exclus, les marginaux...
Elle se focalise sur les visages, les cabossés de la vie, les enfants, ou parfois c'est une femme riche qui lui lance un œil mauvais, suspicieux...
C’est une ethnologue à l’œil humaniste.
Elle réalise de nombreux autoportraits et pour reprendre les mots de Gaëlle Josse "elle s'y montre dans une troublante présence-absence, en dévoilant des fragments de corps ou de visage, champ et hors champs décalés, décentrés inventant une forme de désagrégation, d'effacement du sujet, comme une métaphore de sa propre existence"

Elle adopte un accoutrement qu'elle ne modifiera pas : un large manteau, un imperméable froissé, des jupes à mi-mollets, de bonnes chaussures de marche, un informe chapeau melon.
Elle se photographie comme une ombre qui se faufile dans les rues, marche, regarde, photographie la richesse, la misère et saisit les choses d'un œil sûr.
 

Le monde de l'enfance l'attire.
Des enfants noirs et blancs qui jouent ensemble à une époque où les temps étaient plutôt à la ségrégation en Amérique.

Des pauvres, des marginaux, des ivrognes, des miséreux, des noirs, des blancs...l'intensité de l'instant. On ressent à travers ses photos la profonde empathie de Vivian Maier envers les miséreux, des malades, les laissés pour compte.

Elle photographie l'insolite, les paradoxes.

Elle photographie les personnages de dos
 
 Des  photos de pieds prisent au ras du trottoir.
 
Des portraits,

des autoportraits

Des autoportraits avec montage et mise en scène
Des femmes riches aux regards hautains, méfiants, suspicieux ...

Des photos de personnes de son Champsaur natal.
Vivian montre avec tendresse et réalisme la rudesse de la vie en montagne à cette époque.

Vivian Maier a mené parallèlement une vie de nourrice et de photographe de rue amateur, prolifique et talentueuse.

Elle n'a jamais montré et exploité ses photographies.

Ce sont les dieux du hasard et de la bonne fortune qui ont voulu que ces cartons arrivent entre les mains de John Maloof qui a su les valoriser, afin de lui donner une reconnaissance posthume et faire d'elle l'artiste célèbre qu'elle mérite d'être.

Ses photos sont aujourd'hui exposées en Amérique du Nord, en Asie et en Europe...et chaque année dans son village d'origine, St julien en Champsaur.


Sa vie est l'objet d'ouvrages littéraires :

De John Maloof :

Vivian Maier : Street Photographer, PowerHouse Books, 2011

Vivian Maier : Self-Portraits, PowerHouse Books, 2013

Vivian Maier : A Photographer Found, Harper Design, 2014


De Richard Cahan et Michael Williams :
Vivian Maier : Out of the Shadows, CityFiles Press, 2012,

Eye to Eye : Photographs by Vivian Maier, CityFiles Press, 2014

Un roman de Gaëlle Josse, Une femme à contre jour
...
et de documentaires filmés : 

Toute cette histoire relève du fantastique au sens fort du terme.
Vivian Maier qui a vécu dans l'ombre et morte dans la misère n'aura jamais vu le travail et le génie de John Maloof qui l'a sortie des ténèbres. Il a fait d'elle cette photographe géniale et hors du commun qui a accomplie une œuvre énorme de photographe ethnographe des rues.


Le texte est de Paulette Gleyze

Les photos de Paulette et Gérard Gleyze