jeudi 25 mai 2023

Le château de Bon Repos à Jarrie (Isère)


En ce dimanche 21 mai 2023, nous visitons le château de Bon Repos à Jarrie (Isère).

Le château est ouvert pour la visite le 3e dimanche de chaque mois.

La légende veut que le Château porte ce nom grâce au roi Louis XI qui y aurait dormi et dit qu'il "y avait pris un bon repos". 

Au milieu du XIVe siècle, Louis futur roi Louis XI, est dauphin du Dauphiné où son père, Charles VII, l'a exilé.
Il met à profit ses 10 ans d'exil pour structurer et transformer la province du Dauphiné.
Le Dauphin connaissait bien Antoine Armuet propriétaire du château. 
Quand il sera roi de France, Louis XI le nommera "Maître des Requêtes de son Hôtel Particulier", ce qui lui donnait la seconde place dans les défilés officiels.
Il deviendra aussi "Procureur général des Trois Ordres" lors de la réunion qui confirmera le rattachement du Dauphiné à la France.
Louis XI

Situé au coeur du territoire de la commune de Jarrie, dans une zone préservée de l'extension urbaine, cette maison forte a été construite entre 1460 et 1470, par Guillaume Armuet, chevalier, auditeur à la Chambre des comptes du Parlement du Dauphiné.

Le blason de la famille est composé d'azur à trois heaumes d'argent.
Louis XI a dit : "Arma Mihi Requies" qui signifie "Les armes sont mon repos" qui vont devenir la devise de la famille.


Le château de Bon Repos est un bon exemple de résidence de la petite noblesse dauphinoise.
Il a été remaniée au XVIIe et XVIIIe siècle.


Le château change six fois de propriétaires.
Les Armuet et leurs descendants le conservent pendant 350 ans jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les Auberjon de Murinais de 1673 à 1811, les Ruelle jusqu'en 1816, les Reynaud puis les Vidaud de la Tour jusqu'en 1826, les Noailles jusqu'en 1874 puis enfin Jules Jouvin, gantier de Grenoble.

Le château est abandonné après la mort de son dernier occupant, descendant de Jules Jouvin.
Il se délabre et son toit s'effondre en 1917. Les dégâts étant trop importants pour les finances des propriétaires, le bâtiment est délaissé et devient une ruine.

Le pillage commence. Les boiseries, les planchers en noyer, les pierres de tailles, les corbeaux de supports de poutre disparaissent.
Les fresques qui ornaient les murs disparaissent aussi soit par pillage, soit à cause des intempéries.

En 1964, Georges Vivier, un habitant de Jarrie, contacte l'émission "Chefs d'oeuvre en péril" et ravive ainsi l'intérêt du château chez les habitants.

La commune achète le château en ruine en 1976 aux descendants de la famille, pour le franc symbolique.

Des photos de 1978 montrent le haut des murs qui s'effrite, les toitures des tours sont crevées, le site est envahi par la végétation et l'intérieur du bâtiment rempli de près de deux mètres de terre et de gravats.
Seules les caves étaient à peu près intactes, mais d'importantes infiltrations d'eau laissaient craindre l'écroulement des voûtes.


"L'Association du château de Bon Repos" créée en 1978 pour sa sauvegarde, sa restauration et son animation va faire renaître le château.

L'association qui dispose de deux troupes de théâtre, organise des spectacles dans le château qui permettent, en lien avec la municipalité, de financer des travaux depuis 40 ans pour le sauvegarder et le restaurer.

Les premiers travaux sont entrepris. On va chaîner et consolider les murs et le vider de ses gravats.
Grâce à l'argent récolté des premiers spectacles et à un emprunt, les toitures des quatre tours ont été refaites.
Une aide de la Fondation des Pays de France (Fondation du Crédit Agricole) a permis de reconstruire la voûte en briques de la chapelle et de restaurer le sol en albâtre.
D'autres pièces ont ensuite été revoûtées dans leur forme et leurs matériaux d'origine.


La commune a acheté en 2009 les terrains autour du château aux héritiers de la famille Jouvin. Avec l'installation d'un maraîchage biologique elle souhaite redonner au domaine une fonction agricole.

Depuis 2011, le domaine de Bon Repos est devenu un Refuge LPO (Ligue de Protection des Oiseaux).
Une forte colonie de choucas des tours (oiseaux protégés) s’y est installée.

En 2018, le château a été retenu par la "Mission Stéphane Bern - Patrimoine en péril".

La commune de Jarrie a planifié différentes tranches de travaux, le toit étant la priorité. Une maquette nous montre le projet de restauration.

Le château se dresse au bout de son chemin au milieu des champs. C'est un haut logis rectangulaire flanqué de quatre tourelles d'angle et comprend une chapelle castrale de style gothique du XVe siècle.

L'escalier à vis du château est le seul accès possible aux étages. Il a vraisemblablement été intégré au XVe siècle.
Aux alentours des XVIIIe et XIXe siècle, un autre escalier a été construit afin de relier entre eux les deux premiers étages. Il se trouvait au croisement des quatre pièces du château et a été taillé dans la maçonnerie des murs. Aujourd'hui rien ne subsiste.

Le château possédait quatre étages. Nous sommes ici dans le corps du bâtiment non restauré. C'est là que se trouvaient la salle à manger et les chambres.






La voûte de la cuisine a résisté en partie (un tronçon d'environ 1 mètre) jusqu'à sa restauration en 1993.
Au Moyen Âge, la pièce la plus vivante du château était la cuisine. La population importante du château imposait de grandes cuisines où œuvraient outre les cuisiniers et les marmitions, les porteurs d'eau et les gens de service.

Par crainte des incendies, la cuisine du château de Bon Repos a été voûtée dans la 2e moitié du XVIIe siècle. Au sol, des carreaux de terre cuite du XVIIe siècle couvrent toute la surface de la pièce.


Dans la cave voûtée se tiennent des concerts et des spectacles.



Des chapelles privées ont souvent été installées dans les manoirs et les petits châteaux au début de la Renaissance.
Le château de Bon Repos n'a pas échappé à cette mode qui reflète l'état d'esprit de cette époque où la noblesse voulait se démarquer de ses sujets en ne partageant pas les offices religieux avec eux, et en extériorisant leur richesse par le biais de l'art dans leur chapelle.

La chapelle privée de Bon Repos, dédiée à Notre dame de Grâce et de Pitié, possédait des fresques très colorées d'un intérêt majeur pour l'histoire religieuse de la fin du Moyen Âge. Hélas, ces peintures ont disparues peu à peu après l'effondrement du toit en 1917.
Des photographies avaient été prises, ce qui permet de rendre compte de cette iconographie dont on peut voir quelques reproductions.
Saint Sébastien




Le thème de la Vierge portant sur ses genoux le corps décharné du christ symbolise la vie entière de Dieu fait homme, de sa naissance à sa crucifixion. cette représentation s'est répandue en Dauphiné après 1450.



Sur la voûte, le Christ.

Il n'y a pas de date de l'exécution des fresques, mais l'analyse de la procession donne des indices. On voit saint Antoine recouvrir la tête d'Antoine Armuet de son manteau. Cela signifie qu'Antoine Armuet était décédé au moment de la réalisation de la fresque. De plus seuls trois enfants de Guillaume Armuet sont représentés, cela indique que les autres n'étaient pas encore nés. Les experts pense que la peinture a  été réalisée après la mort d'Antoine et avant celle de Guillaume, et estiment qu'elle a été réalisée aux alentours de 1480.
Les donateurs (les propriétaires fondateurs du château) sont entourés de leurs saints patrons convergeant vers une Pietà, thème classique de la fin du 15e et du début du 16e siècle.
On voit probablement Antoine Armuet, prévôt de la Collégiale Saint André de Grenoble, son frère Guillaume Armuet avec sa femme Marguerite de Villard, qui lui amena à son mariage la seigneurie de Saint Martin d'Hères.

Dans cette chapelle se trouve la copie des volets du retable dont l'original se trouve au Musée de l'Ancien Evêché de Grenoble.
Le retable de la chapelle placé au-dessus de l'autel en albâtre, comportait trois parties: une Nativité sculptée en haut relief dans le renfoncement du mur entourée de deux volets en bois peints que l'on pouvait fermer. Ces deux volets sont les seuls vestiges conservés au musée de l'Ancien évêché à Grenoble. Il représente Jacob et sept de ses douze fils, patriarches de l'ancien testament ayant donné naissance aux douze tribus d'Israël. Ils sont en habits orientaux.




Le château de Bon Repos a été classé à l'inventaire complémentaire des monuments historiques en 1986.

Malgré sa toiture effondrée, Le Château de Bon Repos a encore fière allure avec ses quatre tourelles d'angle, ses façades de galets et de schistes et ses fenêtres à meneaux élégamment soulignées d'un encadrement de pierres blanches.

C'est une belle découverte.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze

dimanche 21 mai 2023

Exposition Le monde en scène_François-Auguste Biard_Musée Hébert_07 mai 2023


Le musée Hébert de La Tronche (Isère) expose les oeuvres de François-Auguste Biard sous le libellé "Le monde en scène" du 07 avril au 04 septembre 2023.
Nous visitons cette exposition le 7 mai 2023.

François-Auguste Biard naît en 1799 et décède en 1882.
Après une formation aux Beaux-Arts de la ville de Lyon, il a des envies de voyage : à 26 ans il part en Italie avant de s’engager deux ans plus tard comme professeur de dessin sur une corvette qui sillonnera le bassin méditerranéen.

Mais le voyage qui va profondément influencer son art est une expédition au Spitzberg et en Laponie en 1839.
À la fin des années 1850, il part pour le Brésil puis il se lance dans un vaste périple qui le conduit de la Province d’Espirito Santo au Rio Madeira en passant par Manaos et le Rio Negro, dont il a fait le récit dans "le Pèlerin de l'Enfer Vert".

Je reprends la présentation du musée Hébert sur François-Auguste Biard :

"Peintre inclassable et facétieux, François-Auguste Biard est injustement tombé dans l’oubli, lui qui fut adulé de son vivant par le grand public

Il a souvent été raillé par les critiques littéraires et par Baudelaire qui le détestait.

Destiné par ses parents à une carrière ecclésiastique, il fréquente l’École des Beaux-Arts de Lyon, mais s'émancipe rapidement du style troubadour qu’on lui a enseigné.

Les mendiants, les fous et les laissés-pour-compte sont les sujets graves de ses premières œuvres qu’il travaille d’après nature, à la manière de Théodore Géricault.

Fin observateur, il porte aussi un regard critique et cocasse sur ses contemporains, perceptible dans les scènes de la vie quotidienne qu’il représente avec malice.

En quête de nouveaux horizons, le peintre explore des territoires inconnus et fascinants. De l’Orient méditerranéen aux profondes forêts amazoniennes en passant par les étendues glacées de Laponie, il part à la rencontre des peuples qui y vivent."

Plus de cinquante œuvres sont exposées de manière thématique qui mettent en lumière les multiples facettes de l'oeuvre de Biard, : scènes de genre, marines, paysages exotiques ou sujets sur l’esclavage.
Portrait de François-Auguste Biard_anonyme

Alexandre Barbier, au Salon de 1889 à Paris, écrivait : "Si vous aimez la vérité, la franchise, la verve, l'esprit, le rendu, la joie bruyante, le rire intelligent, la comédie, le vaudeville, le drame, arrêtez-vous longtemps auprès de M. Biard et laissez-vous faire.

Créé à la fin du XVIIe siècle à Paris, le Salon de peinture et de sculpture est une véritable vitrine qui permet aux artistes vivants d'exposer et de se faire connaître.

Entre 1824 et 1882, François-Auguste Biard participe à de nombreuses éditions parisiennes, mais aussi à des Salons de Province, exposant ainsi 170 tableaux.

Les visiteurs, qu'ils soient avertis ou néophytes, s'empressent de venir découvrir les créations de Biard : sujets burlesques, dramatiques ou historiques, marines ou portraits, paysages ou commandes officielles.

Il est apprécié par Prosper Mérimée et Alfred de Musset, mais Charles Baudelaire ne l'aime pas.

Malgré ses détracteurs, le public afflue pour découvrit ses nouvelles oeuvres.

Attentif à ses contemporains, François-Auguste Biard se plaît à représenter des scènes quotidiennes et pittoresques avec beaucoup d’humour.

Exposée au Salon de Lyon en 1828, l'oeuvre est achetée par la ville en l'honneur du peintre que l'on croyait mort à l'étranger. Biard apprend l'achat de cette oeuvre alors qu'il vient de débarquer à Marseille. Dans cette oeuvre, Biard, s'inspire d'un épisode du roman de Walter Scott, "l'officier de fortune" publié en 1828.
C'est un sanglant règlement de compte entre clans qui se déroule en Ecosse au XVIIe siècle. Le sujet très en vogue à l'époque évoque une scène de genre autour de la figure d'une diseuse de bonne aventure.
Intérieur d'un ménage de diseuse de bonne aventure_épisode de l'officier de fortune de Walter Scott_1823_Huile sur toile_Musée des beaux Arts de Lyon

Reproduite dans plusieurs journaux de l'époque, cette toile exposée au Salon de 1846 montre le goût de Biard pour l'autodérision. Prenant une pose de guerrier romain, il s'y représente vêtu d'une redingote à la mode et d'un casque à la longue chevelure rouge.
Peintre Classique_1846_Hile sur toile_Galerie La Nouvelle Athènes, Paris

Peintre de portrait_1836_huile sur toile_Collection M R..._Rhône

Dans cette scène d'atelier, confuse et agitée, l'artiste se prend comme modèle pour peindre le soldat d'une scène héroïque.
Mon atelier_François-Auguste Biard_1866__Huile sur toile_Collection M R..._Rhône

L'antre de l'artiste_1866_reproduction numérique_Widener University Art Collection and Alfred O. Deshong Collection, Chester, Etats Unis

La renommée de François-Auguste Biard est alimentée par les reproductions gravées de son oeuvre.
La revue L'Artiste écrit :"M. Biard est aussi un homme d'esprit, dont la verve bouffonne amuse et fait rire aux éclats tous les oisifs qui hantent nos salons annuels de peinture. C'est un privilège que personne n'a le droit de lui disputer."
Charles Joseph Traviès de Villers (1804-1859)_Salon de 1842_Enthousiamse impossible à décrire devant le tableau de M Biard "La traversée du havre à Honfleur"_La Sysphide_Collection particulière

Bertall (1820-1882)_Le Salon de 1857 dépeint par Bertall : "Un Biard réussi, corrigé avec soin par Paul Delaroche_Journal amusant, 5 septembre 1857_Fac-similé

Cham (1818-1879)_Le salon pour rire : "Père de famille devant le tableau de M Biard_L'Illustration, 24-31 janvier 1851_Fac-similé

Bertall (1820-1882)_Les impressions de voyage de la famille Ballot au musée :"Dieu de Dieu, que ce môssieur Biard est farce, mais qu'il est donc farce :"_L'Illustration, 15 mai 1847_Fac-similé

Jules Platier_Promenade au salon : "La foule arrêtée devant un tableau comique de M Biard"_Musée ou Magasin comique de Philipon, huitième livraison,1842_Fac-simlé

Les scènes de genre, tableaux aux thèmes anecdotiques ou familiers, sujets burlesques ont fait la notoriété de François-Auguste Biard. Biard peint avec beaucoup de dérision la société : Garde Nationale, Clergé, petite bourgeoisie...

Avec l'abdication du roi Louis Philippe en 1848, Biard perd son protecteur. Les changements de régime et les goûts artistiques vont évoluer et les scènes de genre de Biard vont de moins en moins plaire.

La garde Nationale était une force civile organisée dans chaque commune et considérée comme une milice bourgeoise. Biard s'amuse à représenter cette troupe défilant fièrement sur la place du village. Le charme de cette scène réside dans la présence incongrue d'une petite fille qui accompagne les gardes.
Garde Nationale de campagne, défilant devant le maire_1836_huile sur toile_Musée de l'Armée_Hôtel National des Invalides, Paris

Ce baptême est un rite initiatique organisé lors du premier passage de la ligne de l'Equateur par un marin ou un voyageur. La vie à bord se transforme alors en carnaval. Les initiés bizutent les néophytes déguisés pour l'occasion. Neptune roi de la mer et ses tritons, animent la cérémonie.
Le Baptême sous la ligne, scène de la vie maritime_1834_Huile sur toile_Collection M R..., Rhône

Chute à la sacristie_Non daté_Huile sur toile_Courtesy galerie Michel Descours, Paris

Le Halage_Non daté_Huile sur toile_Tomaselli collection, Lyon

Biard représente un vieillard, une jeune mère et son nourrisson dans leur modeste logement. Le mobilier est en train d'être saisi pour être vendu afin de payer les créanciers. Biard délaisse l'humour et la dérision pour un sujet social, la misère du petit peuple.
La saisie immobilière_1857_Huile sur toile_Collection Elvire de Maintenant, Paris

Cette scène se passe dans l'hôpital lyonnais des Antiquailles, fondé en 1803, qui servait d'asile pour les mendiants et les aliénés. Excepté Théodore Géricault, peu de peintre peignent la folie.
L'hôpital des fous. Une jeune fille ne reconnait pas ses parents_1833_huile sur toile_Galerie de Bayser, Paris

F.A Biard représente des marines historiques, des scènes de naufrages ou des batailles navales. Le roi Louis Philippe lui passe de nombreuses commandes. C'est grâce à son expérience de peintre voyageur en Méditerranée, en Atlantique et dans l'Océan Glacial Arctique qu'il enrichit ses peintures de scènes vécues.

Le 29 juin 1694, la bataille navale du Texel oppose un groupe de vaisseaux hollandais au corsaire Jean Bart. Ce dernier est missionné par le roi de France pour reprendre aux Hollandais une centaine de navires chargés de blé, afin de nourrir le peuple français en proie à la famine. Scène chaotique et foisonnante éclairée par les lueurs éparses des incendies et des coups de feu.
Abordage d'un vaisseau hollandais par Jean bart_1843_reproduction numérique_Musée du Louvre, Paris

Afin de s'affranchir de sa réputation de peintre de genre, Biard s'attaque à des sujets historiques. Il s'inspire d'épisodes maritimes célèbres comme celui de de l'héroïque sauvetage d'un navire en détresse par le capitaine Pléville en 1770. Au coeur de la tempête, alors qu'un bateau menace de s'écraser sur les rochers au large de Marseille, le valeureux capitaine, surnommé "le corsaire à la jambe de bois" porte secours aux naufragés.
Le capitaine Pléville venant en aide au vaisseau du capitaine Jervis_vers 1874_huile sur toile_collection particulière, Courtesy galerie de la Nouvelle Athènes, Paris

Compartiment réservé pour la tranquillité des dames seules_1877_Huile sur toile_Collection particulière

À partir de 1825, F.A Biard entame une série de longs voyages.
Il découvre d'abord l'Italie avec son ami Jean baptiste Corot.
Il a un engouement pour l'Orient, il s'engage comme professeur de dessin dans la Marine Nationale et navigue pendant un an dans le bassin méditerranéen. Il fait escale en Grèce, à Malte, à Chypre, en Égypte et dans l'empire Ottoman.
Dès son retour en 1828, il n'aspire qu'à voyager à nouveau et repart en Angleterre, Ecosse, Allemagne, Suisse, Espagne et songe à des contrées plus lointaines et plus difficiles d'accès.
De ses voyages, il revient toujours avec plusieurs centaines d'études, dont très peu sont parvenus jusqu'à nous.
Celles qui sont exposées montrent un peintre soucieux du détail et de la vérité.
Soldat turc_1828_aquarelle sur papier_collection M R..., Rhône

Chameliers en Egypte_1828_aquarelle sur papier_collection M R..., Rhône

Marin turc_1828_hile sur toile_collection M R..., Rhône

Femme grecque_1828_aquarelle sur papier_collection particulière

Le joueur de saz_1828_aquarelle sur papier_collection particulière

Jeune muletier d'Aboukir_1828_Huile sur toile_collection particulière

Sultane dans un intérieur_1835_huile sur toile_musée Sainte-Croix_Poitiers

Scène sur le Nil, famille attaquée par un crocrodile_Non daté_huile sur toile_collection M R..., Rhône

Chameliers en Egypte_1828_aquarelle sur papier_collection M R..., Rhône

En 1839, F.A Biard participe à l’expédition dirigée par l’officier de marine Paul Gaimard en Laponie et au Spitzberg.
Il partage ce voyage avec Léonie d’Aunet qui deviendra sa femme en 1840.
Léonie d'Aunet a rendu compte, en 1854, de ce périple dans son très beau livre "Voyage d'une femme au Spitzberg".

Il s'imprègne de ces paysages uniques baignés par la lumière du soleil de minuit, il en ramène des centaines d’études, d'esquisses, de dessins, de paysages, de botanique, de la vie quotidienne et de portraits du peuple Samis.

Ce voyage va profondément influencer son art. Les esquisses qu'il a ramenées lui permettront de réaliser des tableaux sur le Grand Nord qui feront sa réputation.

Les paysages qu'il peint sont si fascinants et effrayants qu'ils sont parfois jugés peu vraisemblables.

Léonie d'Aunet écrit : "Ces îles flottantes sans cesse minées par la mer, changent de forme à chaque instant."

F.A Biard et Léonie d'Aunet partagent leurs impressions et font un récit relayé par la presse.
Baie de la Madeleine, au Spitzberg, par le 79°35m latitude nord_1841_huile sur toile_centre national des arts plastiques, Paris

Vue sur l'Océan glacial : pêche aux morses par des Groënlandais_1841_huile sur toile_Château-musée, Dieppe

Inuits en fuite_Non daté_huile sur toile_collection particulière

Navires explorateurs dans les mers polaires_vers 1841_huilse sur toile_musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Troyes

Parmi ses tableaux les plus connus, deux figurent à Versailles.
Ces toiles mettent en scène le Duc d’Orléans qui avait fait un voyage en Laponie en 1795 accompagné du comte de Montjoie pour fuir la Révolution française. Sous les pseudonymes de Müller et Froberg, ils font un long voyage qui les mène le long de la côte norvégienne jusqu’au Cap Nord, avant de traverser la Laponie.

Biard compose un hommage au roi Louis Philippe, commanditaire de l'oeuvre. Il représente le souverain comme audacieux et ouvert au monde. Le duc est reçu par les Samis sous une tente traditionnelle.
Biard utilise les esquisses réalisées lors de son séjour en Laponie. Il représente la vie domestique et l'organisation matérielle de ce peuple nomade. Il peint les costumes lapons avec précision, détaillant les fourrures, peaux, ornements.
Le duc d'Orléans recevant l'hospitalité sous une tente lapone, août 1795_1841_reproduction numérique, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles

Après être allé jusqu'au Cap Nord, le duc d'orléans descend le fleuve Muonio, entre Suède et la Finlande, pour rejoindre Stockholm. Biard représente le passage périlleux de la cascade de l'Eijanpaikka. Au milieu des passagers terrifiés par le danger, le duc demeure imperturbable. Biard salue un roi courageux.
Le duc d'Orléans descendant le grand rapide de l'Eijanpaikka sur le fleuve Muonio (Laponie), août 1795_1841_reproduction numérique, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles

Les portraits des Samis montrent l'attention que l'artiste leur porte. Il représente leurs costumes, leurs bijoux, leurs artisanats.
A partir des dessins et esquisses, Biard, de retour de voyage réalise des peintures grands formats.
Benjamin Roubaud (1811-1847)_Panthéon charivarique; "Monsieur Biard est peint en ours_1840, le Charivari, Paris

Biard peint des portraits de Samis dans différentes attitudes. Il les représente avec considération et réalisme, détaillant leurs traits marqués par la rudesse du climat et rend compte avec précision de leurs tenues traditionnelles.
Sami debout appuyé sur un bâton_1839_huile sur papier marouflé sur toile_Galerie Talabardon et Gautier, Paris

Vieux lapon nomade dans la neige_1839_Huile sur papier marouflé sur toile_collection Chantal Klener, Paris

Femme Sami en costume d'été, île Tromso_1839_Huile sur toile marouflé sur toile_Galerie Talabardon et Gautier, Paris

Sami en costume d'hiver_1839_Huile sur papier marouflé sur toile_Collection Impossible Gallery

Ecrivaine, dramaturge, Léonie d'Aunet (1820-1879) est l'une des rares femmes occidentales à avoir franchi le cercle polaire arctique.

Après sa rencontre avec F.A Biard, elle aménage dans son atelier alors qu'elle n'a pas 18 ans.
En 1839, elle se lance avec lui dans l'expédition en direction du grand nord malgré l'interdiction aux femmes de voyager à bord des navires de la marine nationale.

De retour à Paris, le couple officialise leur union et auront deux enfants.

En 1843, Léonie rencontre Victor Hugo avec qui elle aura une liaison pendant plusieurs années. Les deux amants sont pris en flagrant délit d'adultère en 1845. Léonie d'Aunet fera quelques mois de prison.

Sa liaison avec Victor Hugo lui permet d'intégrer les cercles littéraires et elle se lance dans l'écriture. Son premier récit, "Voyage d'une femme au Spitzberg" en 1854, enrichi d'informations scientifiques et historiques, retrace son épopée avec Biard.

Elle publiera ensuite plusieurs romans, articles de mode et pièces de théâtre.
Léonie d'Aunet

Lettre de Victor Hugo(1802-1885) à Léonie_vers 1843-1845_fac-similé_maison de Victor Hugo

Ferdinand Bac (1859-1952)_Victor Hugo se sauve après le flagrant délit avec madame Biard_vers 1952_dessin à l'encre sur papier d'après un croquis de Mérimée_Collection particulière

Ce rébus amoureux s'organise autour des initiales des deux amants, L A et V H. Les inscriptions "Lea" (la lionne) pour Léonie et "Leo Victor Victus Leanena" (le lion victorieux vaincu par la lionne) rappelle l'histoire passionnée qui les a unis de 1843 à 1851. V. Hugo lui dédie ce dessin pendant son exil et signe que le poète ne l'oublie pas.
Victor Hugo_rébus amoureux pour Léonie D'Aunet_vers 1854-1855_fac-similé_Maison de Victor Hugo

En 1854, 15 ans après son voyage dans le grand nord, elle publie son aventure, sous forme de lettres adressées à son frère Léon de Boynest, disparu trois ans auparavant.
Léonie d'Aunet (1820-1879)_Voyage d'une femme au Spitzberg_1879_L. Hachette et Cie, Paris_collection particulière

En Avril 1858, François-Auguste Biard à bientôt 60 ans, a de nouveau des envies d’aventure : il s'embarque pour le Brésil où il est introduit à la Cour de l’Empereur Pedro II qui lui commande de nombreux portraits de son entourage. Le poste de directeur des Beaux-Arts lui ait proposé mais il décline l'offre.

Pendant deux ans, il s'enfonce de plus en plus loin dans la forêt amazonienne remontant le fleuve Amazone jusqu'à Manaus.
Il explore ensuite le Rio Negro sur un petit canot avant de terminer son périple sur les rives du Rio Madeira, territoire du peuple Mundurucu.
Malgré la fatigue et la maladie, il embarque pour l'Amérique du Nord et les chutes du Niagara.
A propos de ce voyage il écrit : "Je rapporte des souvenirs et des matériaux de travail pour le reste de ma vie."

L'oeuvre met en scène des indiens d'Amazonie fabriquant le poison (curare) aux vertus paralysantes utilisé notamment pour la chasse.
La fabrication de curare dans la forêt vierge du Brésil_1861_huile sur toile_Musée du nouveau monde, La Rochelle

Biard aurait assisté à cette scène sur les rives du la rivière Sangouassou.
Deux indiens en pirogue_vers 1860_huile sur toile_musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

Chutes du Niagara, Amérique du Nord_après 1862_huile sur panneau_musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

En 1791, les députés de la Convention décident d'abolir l'esclavage afin de calmer les révoltes à saint Domingue, mais Napoléon Bonaparte autorise à nouveau cette pratique en 1802. Il faut attendre le 27 avril 1848 pour qu'un décret abolissant définitivement l'esclavage dans les colonies françaises soit signé, libérant 250 000 esclaves. Cette scène met en valeur l'action du gouvernement représenté par la figure de Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat à la Marine et artisan de l'abolition, dont Biard était proche.
La représentation de l'esclavage est récurrente chez Biard. Il aurait été confronté au commerce d'êtres humains dans le bassin méditerranéen, en 1828.
En 1848, pour célébrer le décret abolissant l'esclavage, il peint une oeuvre monumentale que l'Etat achète.
Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises_1849_reproduction numérique_musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles

Portrait d'un esclave libéré_1848_huile sur papier contrecollé sur toile_Galerie Thierry Mercier, Paris

Une vente d'esclave à Rio de Janeiro

À son retour, il produit moins d’œuvres que lors de son expédition dans le Grand Nord mais écrit un long récit avec beaucoup d’humour et dérision.

"Deux années au Brésil" relate son périple riche en rebondissement. Il est illustré de 180 gravures réalisées d'après ses dessins et ses photographies.




Ces œuvres, d’un style très différent de ses paysages et de voyages, font de lui un peintre apprécié mais aussi décrié. Elles ne suscitent plus le même engouement aux Salons.
Il est obligé de quitter son atelier, de vendre une partie de son oeuvre et de ses collections. 
Il meurt en 1882 d'une mystérieuse maladie ramenée du Brésil.

Biard a ramené de ses voyages plus de 2 000 dessins et esquisses peintes.
A son décès,  ses oeuvres ont été dispersées aux enchères. Il ne reste aujourd'hui que quelques dizaines d’œuvres en circulation.

On redécouvre aujourd'hui l'oeuvre prolifique et originale de ce peintre voyageur du XIXe siècle.
 
 
Texte de Paulette Gleyze
 
Photos de Paulette et Gérard Gleyze