mercredi 25 septembre 2019

Voyage en Sicile_jour 4_La vallée des Temples d'Agrigente


Lundi 15 juillet 2019, nous poursuivons notre périple en Sicile avec une équipe fort sympathique.

Nous partons pour la vallée des temples d'Agrigente (Akragas) classée au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1997.

Le site était occupé depuis la préhistoire mais Akragas a été fondée en 581 av JC par des colons venus de Gela, originaires de Rhodes et de Crète. La cité avait pour fonction d'être un avant poste défensif face aux invasions carthaginoises.
La plaine est très fertile. Une riche production de céréales, d'huile d'olive et de vin, lui permet d'en faire commerce dans le bassin méditerranéen et notamment avec Carthage. Elle va devenir prospère.

Le premier tyran s'appelait Phalaris (Falaride). Il va faire fortifier la cité entre 570 et 554 av JC) avec la construction de remparts long de 12 kilomètres.
C'est sous Terone (Theron) (535 av JC/472 av J-C. ), tyran d'Akragas de 488 av JC jusqu'à sa mort, en 472 av JC, que la cité a atteint son apogée avec la victoire sur les Carthaginois à la bataille d'Himère en 480 av. J.-C.

Akragas comptait à ce moment là environ 200 000 citoyens.
La main d’œuvre gratuite capturée lors de cette bataille va lui permettre d'embellir la ville et de faire construire les temples à l'intérieur des remparts.
Il y aura plus de temples à Akragas que sur l'acropole d’Athènes.

Diodore de Sicile (historien et chroniqueur grec du Ier siècle av. J.-C. contemporain de Jules César et d'Auguste (et auteur de la Bibliothèque historique) a écrit au sujet d'Agrigente :
" La Ville d’Agrigente et son territoire était alors une des plus heureuses habitations qu’il y eut au monde [...] Les vignes y étaient d’une beauté et d’une hauteur extraordinaire; mais la plus grande partie du pays était couverte d’oliviers, qui donnaient une quantité prodigieuse d’olives, qu’on portait vendre à Carthage car en ce temps-là il y avait peu de plantations dans la Libye ; de sorte que les Siciliens tiraient des richesses considérables de Carthage par le commerce de leurs fruits. […] Mais rien ne marque mieux le luxe des Agrigentains et leur goût pour le plaisir, que les tombeaux ou les monuments dressés par leur ordre, à des chevaux qui avaient gagné le prix de la course, ou même à de petits oiseaux élevés dans les maisons particulières par de jeunes garçons ou de jeunes filles... On y élevait les enfants dans une propreté qui allait jusqu’à la mollesse : ils portaient des habits d’une finesse extraordinaire et garnis d’or ; leur toilette était chargée de boëtes et d’autres bijoux d’or et d’argent. Le plus riche des Agrigentins en ce temps-là était Gellias, qui avait chez lui plusieurs appartements pour des hôtes, et qui faisait tenir devant sa porte un certain nombre de domestiques, dont la commission était d’inviter tous les étrangers à venir loger chez lui..."
Comme toujours la réussite va faire des envieux.
En 406 av JC les carthaginois détruisent la plus grande partie de la cité.
En 338 av JC elle est reconquise par le général corinthien TimoléonI ; il la reconstruit et y installe un régime démocratique.
Elle est conquise en 210 av JC par les romains qui nomment Agigentum.
Après la chute de Rome, la cité passe sous le contrôle des Byzantins (romains d'orient)
puis des Arabes au IXe siècle.

Les Normands s'emparent de la cité en 1087.

Aujourd’hui, la vallée constitue un magnifique parc archéologique de près de 1 300 hectares. Il compte 8 temples doriques et les vestiges du mur antique de la cité d'Akragas (Agrigente) :

- le temple d'Hera, l'épouse de Zeus, qui a été incendié par les carthaginois en 406 av JC
- le temple de la Concorde, le mieux conservé.
- le temple d'Héraclès, le plus ancien des temples. Il ne reste que 8 colonnes.
- le temple de Zeus sur l'Acropole, jamais achevé et détruit par les carthaginois
- le temple des Dioscures (Castor et Pollux)
- le temple d'héphaïstos
- le temple de Démeter
- le temple d'Asclépios (dieu de la médecine)
Les temples sont bâtis sur une crête.
Nous pouvons accéder au site par l'ouest avec les ruines du temple de Zeus Olympien ou par l'est avec ses trois temples : le temple d'Héra, le temple de la Concorde et
le temple d'Hercule.

Nous entrons par l'est et pour accéder aux temples nous prenons le chemin longé d'oliviers centenaires,

et de cactus magnifiques

Tout au long de ce parcours, à chaque étape, Giuliana va nous expliquer le fonctionnement et le mode de construction de ces temples, ce que nous suivons avec grand intérêt.
Pour commencer nous voyons comment sont taillés les blocs de pierre.

Au bout de la crête, à l'extrême sud-est sur le plateau, face à la mer, nous arrivons au temple d'Héra construit vers la moitié du Ve siècle av JC. Il est dédié à la déesse protectrice du mariage .
Nous bénéficions là d'un panorama exceptionnel avec d'un côté vue sur la mer et de l'autre sur la ville moderne d'Agrigente.

Il a été construit dans les années 460/450 av JC et les carthaginois l'ont incendié en 406 av JC. C'est un temple dorique avec 6 colonnes d'un côté, 13 de l'autre. Il est posé sur un soubassement à quatre degrés afin de compenser les inégalités de terrain.
Il était dédié à la déesse protectrice du mariage et épouse de Zeus.

25 des 34 colonnes de ce temple ont été reconstituées à partir du XVIIIe siècle.

Concernant le soulèvement des matériaux lourds,
Vétruvius (Marcus Vitruvius Pollio, connu sous le nom de Vitruve, est un architecte romain du Ier siècle av JC), écrit que pour soulever les blocs de pierre et tous les matériaux lourds, les grecs et les romains utilisaient des grues capables de porter jusqu'à 6 tonnes. La différence avec nos grues modernes c'est que le moteur était remplacé par les bras et les jambes des esclaves.
Avec leur force ils faisaient tourner la grande roue du treuil avec un système de poulies.
La corde où était attachée la pierre se tendait et favorisait le soulèvement.

Nous quittons le temple d'Héra et continuons notre chemin, en jetant un dernier coup d’œil à ce beau temple.

Nous arrivons à proximité de l'entrée sud-est et du reste de l'enceinte de la cité grecque.
L'aspect d'origine du VIe siècle av JC n'est plus visible en raison de l'éboulement d'une partie de la crête rocheuse et par les réaménagements ultérieurs.
Entre le IVe et le VIIe siècle après JC, le mur d'enceinte accueillait une nécropole paléochrétienne.
Plusieurs tombes à "arcosolium" c'est à dire des niches semi-circulaires avec un arc creusé au-dessus du cercueil, le plus souvent un sarcophage, sont creusées Les arcosolia qui contenaient 2 ou 3 sépultures accolées ou superposées sur plusieurs niveaux.
Nous voyons des arcosolia à ciel ouvert mais elles pouvaient aussi se trouver à l'intérieur de chambres souterraines.
La décoration picturale perdue en grande partie était constituée de motifs floraux et de personnages.
Elle était dans les tons de ocre ou de vert sur fond blanchâtre.
Ces tombes ont transformé le rempart en gruyère.

A proximité, sous les amandiers se trouve "le jardin des justes dans le monde". Une simple plaque avec le nom du "juste" victime de la violence politique ou de la mafia, au pied de chaque amandier...émouvant !

Nous continuons notre chemin et arrivons au temple de la Concorde.

Construit vers 430 av JC, c'est l'un des temples le mieux conservé du site, il a été restauré en 1748.
On ignore à qui il était dédié mais deux statues retrouvées à l’intérieur ont laissé supposer qu’il pouvait être dédié aux Dioscures, Castor et Pollux.
Mais les historiens n'ont pas suffisamment d'éléments pour être affirmatifs.
Son nom a été choisit par son restaurateur Tommaso Fazello
Il a été converti en basilique chrétienne au VIe siècle par l’évêque Grégoire (VIe siècle). Il restera un lieu de culte jusqu’en 1788, date à laquelle il a été restauré dans son état d'origine.

L'édifice construit en calcarénite locale, est en style dorique (440-430 av JC). Il s'appuie sur un soubassement de 4 gradins et présente 6 colonnes sur la largeur et 13 sur la longueur.
L'espace intérieur est composé de 3 pièces : la pièce centrale (cella) était précédée par un vestibule d'entrée (pronaos) suivie par un espace postérieur (opstodome).

Il mesure 20m sur 42m environ. Les colonnes dorique ont une hauteur de 6,75m.
Du stuc blanc recouvrait le bas du temple, alors que les parties supérieures au dessus des colonnes étaient peintes de couleurs vives.
Le toit était recouvert de tuiles en marbre.
Les constructeurs ont eu recours à des "trucages" de correction optique : les colonnes sont amincies vers le haut pour paraître plus grandes.
Elles sont regonflées aux deux tiers de leur hauteur pour contrecarrer l'effet d'amincissement ce qui donne une impression de verticales parfaites.
Les colonnes en bordures des façades sont légèrement inclinées vers l'intérieur pour éliminer l'effet de divergence.
Ainsi lorsqu'on est situé en face et à une certaine distance on voit le temple parfaitement droit.

Les mesures de ce temple répondent au nombre d'or.

Devant le temple, une statue moderne à l'ombre d'un olivier centenaire.

Près du temple se trouve en démonstration un char à 4 roues.
Le char à deux ou quatre roues tiré par des animaux, notamment des chevaux ou des bœufs était utilisé pour faciliter le transport des matériaux.
Le timon mobile et solidaire du train-avant, plus ou moins pivotant, permettait que le chariot puisse tourner plus facilement.

Nous voyons également une reconstitution de la machine à tambours de Chersiphron qui servait au transport des colonnes et des architraves.

Chersiphron est un architecte de Cnossos, dans l'ancienne Crète. Il invente le tambour au VIe siècle av. J.-C.

Vitruve écrit dans son Livre X. Chapitre II :
"Quatre pièces de bois de quatre pouces carrés, deux placées en travers et les deux autres en long, égales à la grandeur de chaque fût de colonne, furent solidement assemblées. Aux deux bouts des fûts, il scella avec du plomb des boulons de fer en forme de queue d'aronde, et enfonça dans les traverses des anneaux en fer pour y faire passer les boulons. De plus, il attacha aux deux extrémités de la machine, des timons en bois de chêne auxquels on attela des bœufs, et les boulons passés dans les anneaux de fer y tournaient si librement, que les fûts des colonnes, grâce à ces boulons et à ces anneaux de fer, roulèrent sans aucune difficulté. Quand tous les fûts des colonnes eurent été transportés, il fut aussi question du transport des architraves. Métagène, fils de Chersiphron, prit modèle sur cette machine pour les amener. Il fit des roues de douze pieds environ, et au milieu de ces roues il enchâssa les deux bouts des architraves, auxquels il adapta de la même manière des boulons et des anneaux de fer, de sorte que, les bœufs une fois attelés à la machine faite de pièces de bois de quatre pouces carrés, les boulons passés dans les anneaux de fer faisant tourner les roues; et les architraves enfermées dans les roues comme des essieux, arrivèrent de la même manière que les fûts de colonnes, au lieu de leur destination. On peut avoir une idée de cette machine par les cylindres qui servent à aplanir les allées dans les palestres. Mais il eût été impossible de réussir sans le peu de distance qu'il y avait entre la carrière et le temple, distance qui n'était que de huit mille pas ; encore n'y avait-il ni à monter ni à descendre."

Nous repartons pour le temple d'Heraclès. En chemin, nous passons devant une magnifique villa.

Il s'agit de la villa Aurea qui a appartenu à Alexander Hardcastle (1872-1933 ) mécène, archéologue amateur et capitaine de la marine britannique.

Au tout début du 20ème siècle il vient en Sicile, s’installe à Agrigente et acquiert cette villa située entre le temple de la Concorde et le temple d'Héraclès
Il s'investit financièrement dans des campagnes de fouilles et finance le redressement des colonnes du temple d'Héraclès.

Pour sa contribution à l'archéologie, Sir Alexander Hardcastle a été nommé citoyen honoraire de la ville d'Agrigente et a reçu le rang de commandant de l' ordre de la couronne d'Italie.

Tout proche se trouve le Temple d’Héraclès, ou temple d'Hercule. L'attribution de ce temple à Hercule vient de Cicéron, généralement considéré comme fiable.
C'est le plus ancien temple du site, il remonterait à la fin du VIe siècle avant JC.

Il est construit en calcarénite locale et est de style dorique archaïque.
Il mesure 25,34 m × 67,00 m, et était composé de 6 colonnes sur sa largeur et 15 sur sa longueur. Il est bâti sur un soubassement de 3 gradins.
L'espace intérieur était composé de trois pièces : la pièce centrale (cella) était précédée par un vestibule d'entrée (pronaos) et suivi d'un espace postérieur (opisodome)
A partir de 1922 avec les fonds de Alexander Hardcastle 8 de ses 38 colonnes sur le côté sud ont été relevées pendant la première moitié du XXe siècle.

Un modèle de chèvre est exposé.
Une chèvre est un appareil de levage et de manutention composé de trois poutres (tripode), appelées hanches, disposées en pyramide dans lesquelles passe une corde manœuvrée à l'aide d'un treuil.
Cet appareil de levage a été utilisé depuis la plus haute antiquité pour la construction des monuments afin de déplacer les énormes blocs de pierre.
Aucun de ces instruments n'est parvenu jusqu'à nous, car ils étaient constitués de bois et de corde (et donc putrescibles), mais nous en avons connaissance grâce aux écrits des grecs et des romains.

Nous arrivons à l'emplacement du Temple de Zeus olympien qui était le plus grand temple dorique jamais construit.

Des historiens pensent qu'il aurait été construit par le tyran Théron en -480, après sa victoire sur les Carthaginois à la bataille d'Himère mais aujourd'hui d'autres historiens pensent que les travaux auraient commencé en -488 sous le règne du tyran Théron.

Il n'a jamais été achevé. Les imposantes fondations, la taille des éléments effondrés, les blocs, les chapiteaux et les tambours des colonnes laisse imaginer la mesure de ce temple dorique, il mesurait 30 m de haut, 56 m de large pour 113 m de longueur.
À côté des ruines gît un télamon, l'une des 38 statues gigantesques (presque 8 mètres de haut) qui se trouvaient entre les colonnes du temple.
Un télamon est le terme que les romains utilisaient pour définir les statues masculines utilisées comme soutien de l'entablement ou
des corniches. Les grecs les appelaient Atlantes évoquant le mythe d'Atlante, contraint par Zeus à soutenir la voûte céleste.

La statue que nous voyons ici est une reproduction, l'originale est conservée au Musée Archéologique Régional Pietro Griffo d'Agrigente.
Dans sa description de la ville d'Agrigente, l'historien grec Polybe écrit : « Le temple de Jupiter Olympien n'est pas à la vérité si orné et si enrichi que ceux de la Grèce, mais pour le dessin et la grandeur il ne le cède à aucun d'eux »
Diodore de Sicile en donne une longue description : « Ce Temple a 340 pieds de long, 60 pieds de large et 120 pieds de haut, jusqu’à la naissance de la voûte : il est le plus grand de tous les temples de la Sicile et on peut le comparer de ce côté là avec les plus beaux qui se trouvent partout ailleurs ; car bien qu’il n’ait jamais été achevé, le dessein en paraît tout entier. Mais au lieu que les autres temples se soutiennent seulement ou sur des murs, ou sur des colonnes, on a employé dans celui-ci ces deux pratiques d’architecture jointes ensemble ; car d’espace en espace on a placé dans les murs des piliers qui s’avancent en dehors en forme de colonnes arrondies, et en dedans en forme de pilastres taillés carrément. En dehors les colonnes ont vingt pieds de tour et comme elles sont cannelées, un homme pourrait se placer dans une de ces cannelures : les pilastres du dedans ont 12 pieds de largeur : les portes sont d’une beauté et d’une hauteur prodigieuse. Sur la face orientale on a représenté en sculpture un combat de Géants qui est admirable par la grandeur et par l’élégance des figures. Du côté de l’occident est la prise de Troie où l’on distingue tous les héros par la différence de leur habillement et de leurs armes. (XIII, 82). »

Lors de la conquête d'Akragas par Carthage en -406, le temple, encore inachevé, a été détruit.
Par la suite, ses pierres ont été réemployées pour la construction du môle de Porto Empedocle (1749-63), et il ne reste aujourd'hui sur place que de gros éléments du soubassement et des colonnes.
Télémon ou Atlante reconstitué

Télémon original au musée d'Agrigente

Voici le plan et une maquette du temple

En direction du temple des Dioscures est exposé un modèle de grande grue avec des explications très visuelles de son fonctionnement...

Nous voilà devant le temple des Dioscures.
Les Dioscures, ce sont les jumeaux Castor et Pollux. Ils étaient les faux-jumeaux de Léda.
Castor était le fils de Tindare et Pollux le fils de Zeus.
Grecs et romains vénéraient les Dioscures car ils symbolisaient l’aide apportée par les jeunes gens en âge de porter les armes.

Ce Temple date du Ve siècle av JC. Il a été partiellement détruit par les carthaginois et un tremblement de terre en eu raison par la suite.
Le temple mesurait 13,4 m par 31 m.
Un angle a été reconstruit au XIXe siècle avec les morceaux épars retrouvés sur place.
Il est le symbole de la ville d'Agrigente.

Nous quittons ce fabuleux site et je vous donne RDV au musée archéologique d'Agrigente.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette, Anne et Gérard Gleyze