mercredi 19 juillet 2023

Surréalisme au féminin ? Musée de Montmartre


Le 28 mai 2023, nous avons visité l'exposition "Le surréalisme au féminin" au musée de Montmartre.

Cette exposition est présentée du 31 mars au 10 septembre 2023. Elle met en lumière les oeuvres de plus de cinquante artistes femmes qui ont participé au mouvement surréaliste.
Montmartre est un quartier fréquenté par les surréalistes. Le Cyrano est l'un des cafés assidûment fréquenté par Breton et ses proches. Le cinéma d'art le "Studio 28" est la première salle de cinéma d'art et d'essai du monde qui accueille en avant-première la projection de "l'âge d'or" de Luis Buñuel et Salvador Dali, suivi d'un scandale et censuré jusqu'en 1981.
André Breton s'installe à Montmartre de 1922 jusqu'à sa mort.
Pour certaines femmes surréalistes Montmartre est le passage obligé, mais le lien fluctue avec les années et pour affirmer leur indépendance elles vont s'éloigner du noyau parisien placé sous l'autorité de Breton.

Le surréalisme est né dans les années 1920, sous l'impulsion d'André Breton qui écrit en 1924 dans son "Premier Manifeste" "Le surréalisme est un automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit par toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale".

En 1930, dans "le second Manifeste su surréalisme" il écrit : "Tout porte à croire qu'il existe un point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et l'avenir, le haut et le bas, le communicable et l'incommunicable cesseront d'être perçus contradictoirement".

Les artistes présentées dans cette exposition tentent d'abolir l'antagonisme avec rage et provocation : la mort et l'amour, le crime et le désir. Violence parricide de Claude Cahun, caricature du voyage de noce écorchant la bienséance conjugale chez, Dorothea Tanning, appel à l'affranchissement érotique et imaginaire de Jane Graverol et de Rachel Baes, monstruosité agressive chez Maria Martins, Rita Kernn-Larsen et Marion Adnams. Ce sont autant de reflets de leur révolte en faveur de "la vie véritable".

Voici quelques astuces pour reconnaître une oeuvre surréaliste :
- représentation du rêve, de l'imaginaire de manière humoristique ou mystérieuse mais aussi parfois à travers des images violentes
- pratique du collage et du montage photographique
- les artistes créent au-delà de la réalité

Ce mouvement provocateur et dynamique a déclenché au 20e siècle une renaissance esthétique. De nombreuses femmes ont été des actrices de ce mouvement mais sont restées mésestimées par les musées et par le marché de l'art au profit des artistes masculins.
Rachel Baes (1912-1983)_La trame des ancêtres_1962_huile sur toile_musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles

Grinçant et irrévérencieux portrait de Méduse de Marion Adnams. Ce tableau retranscrit un accident arrivé dans son atelier : elle fait un jour tomber une statuette africaine empruntée au musée de Derby sur un dessin d'un vieux chêne qui produit une méduse africaine dont les cheveux de serpents ont fait place à des branches mortes.
Marion Adnams (1898-1995)_Medusa Grown_1947_huile sur panneau_RAW(rediscovering Art by Women)

Dorothea Tanning (1910-2012_Un tableau très heureux, 1947_huile sur toile_Centre Pompidou

Maria Martins (1884-1973)_sans titre_vers 1948_lotjographie_collection Clo et Marcel Fleiss, Paris

Rita Kernn-Larsen (1904-1998)_La promenade dangereuse, 1936_Huile sur toile_Centre Pompidou

Jacqueline Lamba (1910-1993_La femme blonde, 1930_huile sur bois_collection Guy Ladrière

Jane Graverol (1905-1984)
Tableau du haut : Quelque chose du coeur, 1965 (?)_acrylique sur panneau isorel_collection Mony Vibescu
Tableau du bas : Quelque chose du coeur pour Irène et Scut, 1965_huile sur toile_Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Les pratiques occultistes et alchimiques mènent Ithel Colquhoum vers des références druidiques et des ordres maçonniques. Cela explique-t-il ce paysage insulaire dont un alignement de menhirs suggère le signe de l'infini ? Bien qu'éloignée assez tôt du groupe surréaliste anglais, Ithel Colquhoum continue d'échanger avec André Breton dans les années 1950, ce dernier partageant avec elle, à l'époque des intérêts communs (magie, tarot, ésotérisme, astrologie, culture celte) à travers la quête de l'extase poétique engendrant une harmonie qui abolit les antagonismes imposés par la raison.
Ithel Colquhoum (1906-1988)_La cathédrale engloutie, 1952_Huile sur toile_RAW (Rediscovering Art by Women)

Les surréalistes féminines s'emparent des clichés érotiques et ne cessent de s'interroger sur leurs identités en multipliant le jeu des masques (Diana Brinton-Lee, Claude Cahun) en parodiant les codes de la séduction féminine (Mimi Parent, Jane Graverol) ou en se livrant aux incertitudes végétales et animales de la métamorphose (Leonora Carrington, Suzanne Van Damne, Mimi Parent, Meret Oppenheim).
Valentine Hugo (1887-1968)_Le Toucan, 27 janvier 1937_huile ou acrylique sur panneau de bois avec inclusion métallique

Depuis 1964, Myriam Bat-Yosef recouvre de peinture des objets du quotidien (piano, râteau, miroir, chaussures... qu'elle détourne comme autant de parodies de ready made. Ses couleurs bigarrées donnent une présence étrange à des sculptures-créatures hybrides.
En haut à gauche : Myriam Bat_Yosef (1931)_Déméter_1985_sculpture peinte en deux parties , tête surmontée d'une pelle_bois, fer, liège, peinture acrylique_Musée d'art Moderne de Paris
En haut à droite : Suzanne van Damme (1901-1986)_couple d'oiseaux anthropomorphes, 1946_huile sur panneau_RAW
En bas : Meret Oppenheim (1913-1985)_guéridon Traccia (1936-1971)_piètement en bronze, plateau en bois doré à la feuille d'or_Réédition de 1999 du modèle surréaliste de 1936 avec une modification des empreintes sur le plateau_ achat en 2000_Centre National des arts plastiques, Paris

L'iconographie de cette oeuvre reprend un des thèmes familiers des surréalistes : l'oiseau et la femme, mais les artistes surréalistes femmes y rajoutent une symbolique érotique.
Mimi Parent (1924-2005)_sans titre_1960-1970_broderie sur tissu_collection Mony Vibescu

Mimi Parent (1924-2005)_Léda, 1997_assemblege de matériaux mixtes, boîte sous verre_collection Mony Vibescu

Jane Graverol (1905-1984)_les derniers plaisirs, vers 1950_huile sur panneau isorel_collection Mony Vibescu

Mini Parent (1924-2005)_Maîtresse, 1995_cheveux, manche de cuir_collection Mony Vibescu

C'est le titre de l'oeuvre qui oriente le regard et l'interprétation. Cette oeuvre restitue une songerie née du regard que pose l'artiste sur le réel.
Dorothea Tanning (1910-2012)_Paysage agité, 1950_1960(?)_encre, fusain et aquarelle sur papier_collection Mony Vibescu

Paule Vézelay (1892-1984)_Paysages, three horses, 1929_Huile sur toile_RAW

"J'étais vraiment obsédée par les arbres quand j'étais surréaliste. J'avais fait un dessin d'arbre qui peu à peu est devenu une femme-arbre qui voulait se libérer. C'est à double sens : je voulais me libérer du surréalisme et qui sait me libérer tout court" Rita Kernn-Larsen, 1977.
Rita Kernn-Larsen (1907-1998)_Le rêve, 1930-1939_aquarelle et crayon sur papier_National Gallery of Danemark

Le surréalisme se réapproprie un des grands sujets de la peinture, le paysage. De nombreuses femmes peintres surréalistes s'emparent de ce thème en empruntant à la mythologie pour réfléchir à la fusion de la féminité et de la nature
Marion Adnams (1898-1995)_A Candle of Understanding in Thine Heart, 1964_tempera sur panneau_RAW

En défendant la thèse selon laquelle psychanalyse et surréalisme ont le même but (la libération de l'homme), Grace Pailthorpe invente le mot valise "psychoréalisme" pour désigner sa pratique qu'elle voit comme artistique et scientifique. L'œuf, le fœtus, le spermatozoïde abonde dans sa peinture colorée qui engendre des environnements intra-utérins autant que des paysages abstraits.
Grace Pailthorpe (1883-1971)_Dream of Giving Birth to an egg_02 octobre 1937_huile sur toile_collection particulière

Grace Pailthorpe (1883-1971)_24th February 1942_Huile sur carton_collection particulière

Elsa Thoresen (1906-1994)_Terre Brûlée, 1946_Huile sur panneau_National Gallery of Danemark

Jane Graverol (1905-1946)_Les Hautes Herbes, 1946_Huile sur toile_Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique

Mimi Parent (1924-2005)_La fécondation des fleurs, 2002_Craoyons et feutres sur papier_Collection Mony Vibescu

Ithell Colquhoum écrit dans New Road en 1943 : "Le mythe est une force volcanique, la liberté un flux perpétuel une ambiance née d'une éruption. Le mythe doit percer à travers la croûte terrestre, se disperser en milliers de nouvelles comètes dans le vide, illuminer le ciel noir avec des feux de Bengale, décorer le ciel diurne de panaches vaporeux... Nous ne pouvons pas avoir de libertés, sans explosions répétées"
Ithell Colquhoun (1906-1988)_Autumnal Equinox, 1948_Huile sur toile_RAW

Ces artistes et ces poètes s'emparent des clichés érotiques à travers lesquels le regard masculin sublime le corps féminin. Elles ne cessent d'interroger leurs identités en multipliant les jeux des masques (Claude Cahun) en parodiant les codes de la séduction féminines (mimi Parent, Jane Graverol), ou en se livrant aux incertitudes végétales ou animales de la métamorphose Mimi parent, Leonora Carrington, Meret Oppenheim.
Mary Low (1912-2007)_La chasse à l'œil, 1998_collage_collection Jennifer Pellé

Dora Maar (1907-1997)_Les yeux, vers 1932-1935_Epreuve gélatino-argentique (tirage David Valet)_Centre Pompidou, Paris

Mimi Parent (1924-2005)_Le pli des draps, le puits des bras, le bruit des pas, 1979_Mine de plomb sur papier_collection Mony Vibescu

Chez Anne Ethuin, le collage se propage à la surface d'objets reflétant l'absence de hiérarchies entre les genres. Ici elle emprunte des figures à la peinture primitive flamande notamment au célèbre triptyque "Le jardin des délices" (vers 1503) de Jérôme Bosch.
Anne Ethuin (1921-2009)_sans titre (de la série des "objets habillés", 1992)_collage sur flacon en verre_collection Cla et Marcel Fleiss, Paris

Dorothea Tanning (1910-2012__Femme dans une plume, 1965_stylo bille bleu sur papier sous passe-partout_collection Mony Vibescu

Mimi Parent (1924-2005)_Zéro de conduite, 1980_Poupée et gants peints assemblés dans une boîte peinte sous verre_Collection Mony Vibescu

Jane Gravero (1905-1984)_Le sacre du printemps, 1960_Huile sur toile RAW

Josette Exandier (1944-2008)_La caresse, 1999_asemblage de matériaux mixtes (branche de bois, physalis séché, gant de cuir), boîte sous verre_collection Mony Vibescu

Josette Exandier (1944-2008)_La très chère était nue, 1995 (?)_assemblage de matériaux mixtes (gant, corps de poupée, tête de poisson séché, pendule)_collection Mony Vibescu

Rachel baes (1912-1983)_Sans titre (princesse à la longue chevelure), 1952_crayon, encre de chine, plume sur papier_Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Claude Cahun, Ecrits, Rêve de 1939 : "Sensation de réveil en face d'un immense corps de femme drapé dans une robe collante en velours presque rouge ou tout à fait noir...Je songe que la grande femme de velours devant moi doit avoir un visage, ce dont une curiosité passionnée me pousse à m'assurer... je me tourne tout d'une pièce et... je vois entrer, montant l'escalier, la robe, mais de dos et surmontée seulement d'un essaim d'abeilles."

Ou encore dans "Aveux non avenus" en 1930 : "Les affligés, les révoltés (ne suis-je pas des vôtres ?)... Nous exigeons le rêve, griffe dehors ou patte de velours."
Claude Cahun (1894-1954)_la chevelure, 1936_tirage argentique_Musée d'arts de Nantes

Claude Cahun (1894-1954)_Autoportrait avec Marcel Moore et un chat, 1930_Mine d graphite, aquarelle, gouache sur papier japonais_Musée d'ars de Nantes

Les métamorphoses deviennent des chimères chargées de violence. Les oeuvres qui peuplent leurs créations suscitent l'inquiétude et traduisent une agressivité à l'égard du monde. La cruauté qui émane témoigne d'une révolte.
Suzanne Van Damme (1901-1986)_composition surréaliste, vers 1946_Huile sur panneau_RAW

Leonora Carrington (1917-2011)_Sans titre, vers 1929_Huile sur toile_RAW

Mansour crée des sculptures hérissées de pointes. Elle exprime un humour corrosif et une cruauté sadique.
Joyce Mansour (1928/1986)_Objet méchant, 1985-1980_Boule de clous_collection Mansour

Josette Exandier (1944/2008)_La divination, vers 1990_assemblege de matériaux_collection Mony Vibescu

Mimi Parent (1924-2005)_L'hippocampe, 1980

Judit Reigl (1923-2020)_Ils ont soif insatiable de l'infini_huile sur toile_centre Pompidou, Paris

Jacqueline Lamba (1910-1933)_sans titre, 1948_huile sur toile_Centre Pompidou

Petite bibliographie de femmes surréalistes :
L'absence ou la rareté d'oeuvres de certaines artistes dans les collections publiques françaises rappellent que la plupart des artistes présentes dans cette exposition ont souvent été oubliées par l'histoire de l'art. On trouve cependant leurs traces dans des publications historiques, Dyn ou VVV par exemple aux Etats-Unis, ou le Phare de Neuilly, Néon ou encore le London Bulletin en Europe.








Même si le surréalisme s'est répandu dans le monde entier, l'exposition s'est attachée aux oeuvres des artistes européens, dont nous ne présentons ici qu'une infime partie.
A l'exception de Meret Oppeinheim, Dora Maar, Léonor Fini la plupart des artistes femmes surréalistes sont restées dans l'ombre.
Cette très belle exposition présente des oeuvres méconnues d'artistes qui ont continué à produire au-delà des dates officielles que retient l'esprit surréaliste.
Grâce à cette exposition nous avons plongé dans un univers fascinant et troublant qui nous invite à découvrir la position ambivalente des femmes dans le surréalisme.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Anne, Gérard et Paulette Gleyze