vendredi 4 décembre 2020

Exposition Gemito au Petit Palais à Paris


Il y a tout juste un an (17 novembre 2019), nous avons découvert au Petit Palais à Paris l'exposition de l’une des personnalités les plus emblématiques de l’art italien de la fin du XIXe siècle.

Il s'agit du sculpteur et dessinateur Vincenzo Gemito.

Il est l'auteur d'une oeuvre abondante qui comporte des œuvres représentatives tant de personnes des plus humbles, des inconnus des rues napolitaines, que des célébrités.

Cette exposition a eu un énorme succès.

Personnalité forte de l’art italien de la fin du XIXe siècle, Gemito naît en 1852 et meurt en 1929 à Naples.

A la fois sculpteur et dessinateur, il laisse de nombreuses œuvres représentant le petit peuple napolitain mais aussi des personnalités et des célébrités comme Verdi et tant d'autres...

Il naît semble-t-il dans la famille d'un bûcheron tombé dans la misère.

Le lendemain de sa naissance, sa mère l'abandonne près d'un orphelinat où il est recueilli et on lui donne le prénom de Genito "celui qui est né", qui s'est transformé par la suite, en raison d'une faute d'orthographe, en Gemito "celui qui gémit". Prénom qu'il conservera.

Il est rapidement adopté par un jeune ménage qui venait de perdre un bébé, mais le mari meurt quelque temps plus tard.

Sa mère adoptive, Giuseppina, se remarie avec un maçon.

Avant ses 10 ans, il devient apprenti à l'atelier du peintre et sculpteur académique Emanuele Caggiano, puis rapidement travaille à l'atelier du sculpteur Stanislao Lista.

Il entre à l'âge de douze ans à l'école de l'Institut royal des beaux-arts où il se lie d'une amitié à vie avec Antonio Mancini ( peintre italien, rattaché au mouvement pictural des Macchiaioli, mouvement qui s'est développé à Florence puis en Toscane au milieu du XIXe siècle et qui regroupe des peintres de toute l'Italie. Ces peintres sont considérés comme les initiateurs de la peinture italienne).

Il fréquente aussi les cours du soir de l'Académie Domenico Maggiore.
Autoportrait_1886

Autoportrait_encre et aquarelle sur papier_Musée e Real Bosco de Capodimento_Naples

Première exposition de cet artiste en France, le Petit Palais retrace le parcours de Gemito depuis son triomphe à l’Exposition Universelle de Paris en 1878 jusqu'à son combat contre la folie, en passant par son extraordinaire talent alliant virtuosité et réalisme.

Gamin des rues, Gemito est devenu en quelques années un sculpteur prodige.

Il signe en 1868, alors qu'il n'a que 16 ans, son premier chef-d’œuvre, le Joueur de cartes, un gamin des rues assis par terre, la tête baissée sur son jeu.

En 1870, cette sculpture est présentée à l'exposition annuelle des Beaux Arts de Naples, la Promotrice. Elle est tellement remarquée que le roi Victor-Emmanuel II l'achète pour être exposée de manière permanente au musée de Capodimonte à Naples. Elle y est toujours conservée.
Joueur de cartes_1868

Joueur de cartes_1868

Gemito n'a que 18 ans quand il s'installe avec son ami le peintre Antonio Mancini et toute une bande de jeunes artistes, dans le cloître abandonné du couvent de San Andrea delle Dame. Pendant ces deux ans de formation, il va exécuter les extraordinaires têtes juvéniles.

Ces bustes des jeunes napolitains sculptés par Gemito montrent la gravité des Scugnizzi (c'est à dire des enfants des rues), des enfants élevés dans la pauvreté. L'artiste saisit sur le vif les physionomies des gamins qui l'entourent.
On peut presque lire leurs sentiments sur leurs visages.
Tête de garçon-petit montagnard_1870/1871

Berger des Abruzzes-bronze_vers 1873 – Museo e Real Bosco di Capodimonte (Naples)

Etude d'après nature. A gauche : « Gamin de rue » (1870-1872) – Collection Intesa Sanpaolo (Naples). A droite "petit maure"_terre cuite_1870-1872

jeune maure-terre cuite_1872 – Certosa e Museo di San Martino (Naples)

Le Harponneur-terre cuite_1872

Petits malades-terre cuite_1870

Tête de petit garçon, 1871_Museo e Certosa di San Martino, Naples.

À vingt-cinq ans, installé à Paris, il fait sensation au Salon de 1877, puis l’année suivante à l’Exposition universelle de 1878 avec son "pêcheur napolitain".
Il s'agit d'un grand bronze d'une technique extraordinaire avec des expressions inattendues et provocantes.

Le petit garçon nu accroupi sur un rocher, tantôt appelé «crapaud», «crétin» ou «petit monstre» par les critiques, choque par son réalisme et sa physionomie, mais attire la foule des visiteurs.

Gemito fait scandale et devient immédiatement connu et célèbre.
Le bronze original, est conservé au musée du Bargello de Florence.
« Pêcheur napolitain » (1876-1877) – Museo e Real Bosco di Capodimonte-Naples


Au sujet de la sculpture de la "petite fille", Gemito écrit : "Voici un portrait en buste : je n'ai sculpté que la tête et le haut des épaules de mon modèle. Je cherche à représenter le plus exactement possible le visage de cette petite fille. Remarque tu les doigts de sa main droite qui dépassent de son vêtement ? Avec son foulard sur la tête elle ressemble aux "pastori", les personnages des crèches napolitaines".
Tête de petite fille en terre cuite

En 1873, il fait la connaissance de Mathilde Duffaud, qui devient son modèle.
Elle a été le grand amour de Gemito. Il a fait de nombreux portraits d'elle qui montrent une jeune femme frêle à l'élégance parisienne.
Portrait de Mathilde et deux autoportraits_encre sur papier_Musée e Real Bosco à Capodimento-Naples

Mathilde et Gemito

Mathilde au miroir_encre sur papier_Musée e Real Bosco à Capodimento-Naples

Tête de Mathilde sur un coussin_bronze_1878-1879

Avec elle, il retourne à Naples en 1880, où il travaille à son fameux "Vendeur d'eau".

Encouragé par le succès de son œuvre "le pêcheur" Gemito va poursuivre dans le même genre en donnant à ses modèles des poses érotiques.

Le "Vendeur d'eau" est un jeune garçon nu, portant un grand vase rempli d'eau contre sa hanche droite et tenant dans sa main droite un verre. C'est une de ses œuvres les plus célèbre.

Dans son atelier de Capodimonte à Naples il réalise plusieurs bustes et portraits de personnages connus :
Le peintre Francesco Paolo Michetti, rencontre Gemito à l'Académie des Beaux Arts à Naples, où les deux artistes suivent les cours de Domenico Morelli.
Paolo Michetti_Terre cuite_1873-1874

Giuseppe Verdi a séjourné à Naples en hiver 1872-1873 pour superviser deux de ses opéras « Don Carlos » et « Aïda » .
Le peintre Domenico Morelli, le persuade de faire exécuter son portrait par Gemito.
D'abord intimidé par l'attitude hautaine du compositeur, Gemito ne trouve l'inspirateur que lorsque Verdi s'est mis au piano.
Cette magnifique sculpture représente Verdi la tête penchée vers un piano. Le buste devient immédiatement célèbre.

Le Buste de Domenico Morelli que réalise Gemito en 1873 témoigne de la fascination qu'éprouvait le sculpteur pour son maître surnommé "Le mage" par ses étudiants.

Gemito représente Domenico Morelli coiffé d'un ample turban et avec une attitude pleine d'autorité. Impressionnant buste qui reflète la vie, l'autorité et le mouvement.
Domenico Morelli_Terre cuite_1873

« Buste de Domenico Morelli » (1873)_bronze_ Museo e Real Bosco di Capodimonte_Naples

Marianno Fortuny a mené une brillante carrière partagée entre l'Italie, l'Espagne et la France. Il meurt prématurément à l'âge de 36 ans. Sa famille commande à Gemito un bronze de l'artiste afin de le placer sur sa tombe.
Il offre une image particulièrement vivante de ce peintre célèbre de son temps.
Buste de Marianno Fortuny (1838-1874), peintre et père du célèbre couturier de la fin du siècle dernier_Bronze-1874

Buste du peintre Giovanni Boldini (1842-1934). Gemito a fait sa connaissance à Paris en 1877.

Buste du sculpteur Paul Dubois (1829-1905). Gemito a rencontré Paul Dubois lors de son séjour à paris. Ils se vouaient une admiration réciproque.

En avril 1881, Mathilde Duffaud meurt prématurément. Désespéré, Gemito part pour quelques mois à Capri, et commence à montrer les 1er signes de sa folie.
C'est à Capri, qu'il modèle plusieurs petits bustes.

L’année suivante, il rencontre et épouse Anna Cutolo qui devient sa nouvelle muse et lui donne en 1885 une fille, Giuseppina.
Anna posait pour les peintres, Domenico Morelli qui la représente dans une superbe femme à l'éventail , célèbre tableau de 1874.
Tête d'Anna_1914_crayon sur papier_collection Sergio Baroni_Milan

« Portrait d’Anna » – Museo e Real Bosco di Capodimonte (Naples)

« Portrait d’Anna Gemito » (1886) – Collection Intesa Sanpaolo (Naples)

Anna mourante_crayon sur papier_Musée e Real Bosco de Capodimonte, Naples

Portrait d'Anna_encre, crayon, gouache sur papier

Buste d'Anna_vers 1996_marbre_Musée e Real Bosco di Capodimonte

À partir de 1885, l’état mental de Gemito commence à s’altérer. Il s’enferme dans une sorte d’exil volontaire.
Il revient à ses sujets de prédilection, la représentation de jeunes pêcheurs et d’adolescents nus et au dessin.
Le garnement_encre, traces de crayon sur papier_Musée e Real di voscode Capodimento_Naples

Garçons allongés sur la plage_encre sur papier_Musée e Real di voscode Capodimento_Naples

Etudes de pêcheur_Encre aquarellée sur papier_Musée e Real di voscode Capodimento_Naples

Etudes de pêcheur_Encre aquarellée sur papier_Musée e Real di voscode Capodimento_Naples

Adolescent_Crayon sur papier ivoire_1923_collection Intesa Sanpaolo_Naples

Adolescent_Crayon sur papier ivoire_1923_collection Intesa Sanpaolo_Naples

Gitane_1885_Collection Intesa Sanpaolo _Naples

Après des décennies de réclusion volontaire due à sa folie, il fait un retour à la sculpture dans un registre inspiré par l’Antiquité.
Au cours des 20 dernières années de sa vie, il va se consacrer à la sculpture antique et notamment la représentation d'Alexandre en qui il s'identifie.
Statuette de Dionysos_Narcisse_1er siècle après J.C._bronze_Musée archéologique nationale de Naples.

Le philosophe_1883_bronze. 
Oeuvre célèbre de Gemito. Il a voulu réaliser une tête idéale, en s'inspirant de son beau-père et du buste de Sénèque qui se trouve au musée National de Naples.

Tête d'Alexandre_1920_Musée e Real Bosco de Capodimento

Buste d'Alexandre le Grand_1920-1925_terre cuite_Galerie Nationale d'Art Moderne et Contemporain_Rome

Médaillon d'Alexandre_1920_plâtre_Galerie d'art moderne_Rome

Brutus_vers 1871_terre cuite Galerie Nationale d'Art Moderne et Contemporain_Rome

Tout au long de sa vie Gemito a réalisé de nombreux autoportraits. Ils sont les témoins de sa vie, de ses malheurs et de sa folie.
Autoportrait_1915_argile_collection Intesa Sanpaolo_Naples

Il a su saisir l'âme de ses modèles et l'âme d'un monde dont il faisait parti.

Tour à tour décrié et adulé il introduit dans la sculpture le réalisme de l'école napolitaine qui va inspirer Rodin et Degas.

Le reproche de laideur qui était fait à Gemito pour son pêcheur napolitain a été adressé à Edgar Degas quelques années plus tard quand il a exposé au salon des Impressionnistes en 1881, la petite danseuse.
Etude de nu pour la danseuse habillée de Edgar Degas, bronze fondu entre 1921 et 1931.

Gemito a connu la gloire mais il est resté dans la solitude. Rainer Maria Rilke a écrit : "La célébrité n'est en définitive que la somme de tous les malentendus qui s'accumulent autour d'un monde nouveau."

La gloire a ébranlée sa personnalité et il sera atteint de schizophrénie.

Son art est somptueux et cette exposition éblouissante.

En 1952, un timbre de la poste italienne a célébré le centenaire de sa naissance.

Si vous souhaitez en savoir davantage je vous propose la présentation d'une sélection d’œuvres par Jean-Loup Champion, directeur scientifique de l'exposition Gemito, au Petit Palais.


Un magnifique ouvrage sur l'exposition a également été publié.



Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze





Texte : Paulette Gleyze


Photos : Paulette, Anne et Gérard Gleyze