Une salle dédiée met en lumière les autoportraits d’Artemisia, avec des œuvres comme la célèbre Joueuse de luth. Cette pièce intime reflète la puissance psychologique du regard, éclairée de façon minimaliste pour encourager l’observation profonde.
Artemisia Gentileschi est une figure majeure de la peinture baroque italienne, et une pionnière parmi les femmes artistes de son temps. Son œuvre se distingue par sa puissance émotionnelle, son réalisme dramatique et un regard profondément personnel sur les sujets féminins.
Elle née à Rome en 1593 et décédée vers 1654/1656. Elle est la fille d’Orazio Gentileschi, peintre caravagesque reconnu, et elle apprend très tôt à peindre dans son atelier.
Elle développe une maîtrise technique précoce, en particulier du clair-obscur influencée par le Caravage.
À 17 ans, elle peint déjà des œuvres puissantes comme Suzanne et les vieillards, montrant un regard féministe rare pour l’époque.
En 1611, elle est violée par Agostino Tassi, un peintre collaborateur de son père, un procès public très humiliant pour elle s’ensuit. Elle sera torturée pour prouver sa bonne foi.
Ce traumatisme marque profondément son art, ses toiles deviennent plus sombres, plus engagées, avec une focalisation sur les héroïnes de la Bible ou de la mythologie confrontant la violence masculine (ex. : Judith décapitant Holopherne).
Elle va avoir une carrière internationale. Elle part à Florence, entre à l’Académie des Arts du dessin. Elle est la première femme à y être admise.
Elle travaille ensuite à Rome, Naples et même Londres, où elle rejoint son père à la Cour de Charles Ier.
Elle est reconnue de son vivant, elle reçoit des commandes de grandes cours européennes.
Elle est influencée par le Caravage en jouant sur les contrastes de lumière, le réalisme brutal, les émotions humaines, mais contrairement au Caravage, elle donne une profondeur psychologique à ses personnages féminins. Ses héroïnes ne sont pas passives, elles agissent, luttent, résistent.
Oubliée après sa mort, elle est redécouverte au XXᵉ siècle par des historiennes de l’art et féministes.
Artemisia Gentileschi écrit :
« Le nom d’une femme sur une toile provoque toujours l’étonnement. »
La première salle nous parle de Naissance d’une artiste dans l’ombre du père.
Simon Vouet, de passage à Rome au début des années 1620, peint ce portrait à mi‑corps de la célèbre artiste baroque Artemisia Gentileschi, pendant qu’elle est déjà reconnue dans les cercles artistiques romains. L’œuvre a probablement été commandée par Cassiano dal Pozzo, érudit et mécène proche des milieux artistiques à Rome.
Artemisia est représentée en train de peindre, tenant un pinceau dans une main et une palette dans l’autre, dans une pose qui affirme son statut d’artiste. Elle porte une robe jaune sur fond brun, avec un médaillon visible au niveau de sa poitrine qui représente le Mausolée d'Halicarnasse, allusion à la reine Artémise II.
Ce portrait est important car il s’agit du seul portrait connu d’Artemisia Gentileschi peint par un artiste contemporain. La réalisation témoigne de l’admiration mutuelle entre deux grands noms du caravagisme et du baroque à Rome, et de la reconnaissance d’Artemisia comme une figure intellectuelle et artistique de premier plan.
Simon Vouet, 1590-1649_Portrait d'Artemisia Gentileschi_vers 1622-1626_Huile sur toile_Pise, fondazione Pisa, Palazzo blu.
Orazio Gentileschi, 1563-1639_La félicité publique triomphant des dangers_1625-1626_Huile sur toile_Paris, Musée du Louvre, département des peintures.
Commandé vers 1628 par le roi Charles I d’Angleterre cette version monumentale (226 × 282 cm) de Loth et ses filles a été réalisée par Orazio Gentileschi. L’œuvre a été placée au Palace of Whitehall et transférée ensuite à Bilbao en 1924, où elle est toujours aujourd’hui.
Le tableau représente l’épisode biblique du Livre de la Genèse (Genèse 19 : 30‑36) où les deux filles de Loth, craignant la disparition de leur lignée après la destruction de Sodome, enivrent leur père pour s’unir à lui.
La scène est ponctuée d’éléments symboliques, une grappe de raisins, symbole de l’ivresse, un vase en métal renversé et un fragment de branche de vigne.
Orazio abandonne ici le style caravagesque pour une esthétique plus théâtrale et élégante.
Orazio Gentileschi, 1563-1639_Loth et ses filles_1628_Huile sur toile_Bilbao, Muséo de Bellas Artes de Bilbao, Espagne_ acquis en 1924
Esther devant Assuérus est une toile magistrale (208 × 274 cm) peinte entre 1628 et 1635, vraisemblablement commencé à Venise puis emporté à Naples, où Artemisia s’est installée peu après.
Le tableau illustre un instant dramatique du Livre d’Esther. Esther, reine des Perses qui est juive, brave le protocole en se présentant sans convocation devant son époux le roi Assuérus (aussi appelé Xerxès) pour sauver son peuple d'un massacre.
La scène montre Esther en train de s’évanouir, soutenue par ses deux servantes, tandis que le roi se lève, visiblement étonné puis touché et exauce son vœu.
Forte influence du clair-obscur caravagesque, dans ce tableau avec un contraste marqué entre la robe jaune lumineuse d’Esther et les tons sombres autour d’elle.
Le roi porte des vêtements somptueux , violet, vert et cramoisi , accentuant son pouvoir royal et son statut autoritaire dans la scène .
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Esther et Assuérus_vers 1628_New York, the Metropolitan Museum of Art_don de Elinor Ingersoll, 1969
Avec Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède, Artemisia réalise une scène tirée de la légende de l’Achilléide de Stace. Ulysse découvre Achille déguisé en fille parmi les filles du roi Lycomède sur l’île de Skyros, où il était caché pour éviter la guerre de Troie.
La toile a réapparu sur le marché milanais en 2005 et est aujourd’hui conservée dans une collection privée.
Cette œuvre sort des thèmes bibliques habituellement explorés par Artemisia. Elle peint un épisode mythologique classique.
Le personnage d’Ulysse, observateur renforce sa dimension d’intelligence et de ruse.
Dans une composition au décor minimaliste, le clair-obscur modèle les visages et les objets.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède_vers 1640_Huile sur toile_Collection particulière
L'Allégorie de la Paix et des Arts a été commandée par la reine Henrietta Maria (épouse du roi Charles I) pour orner le Grand Hall de la Queen’s House à Greenwich, connue alors sous le nom de “Maison des délices”.
Vers 1635–1638, Orazio, empêché par la maladie, sollicite l’aide d’Artemisia, invitée à Londres probablement en 1638 pour achever le décor.
L’ensemble a été déplacé au début du XVIIIᵉ siècle à Marlborough House, à Londres, où il reste exposé aujourd’hui, bien que partiellement recoupé pour s’adapter à l’espace disponible.
Le décor se compose d’un tondo central de 479 cm de diamètre, entouré de huit panneaux (rectangulaires et circulaires), totalisant une trentaine de figures allégoriques majoritairement féminines.
Le tondo central figure la Paix, couronnée d’olivier, tenant un rameau et un sceptre. Dessous se trouvent la Victoire / Gloire, aux pieds sur une corne d’abondance, flanquée par la Force / la Raison (Minerva) et la Concorde.
Autour sont représentées les Sept Arts libéraux (Trivium à gauche et Quadrivium à droite) : Grammaire, Rhétorique, Logique, Arithmétique, Géométrie, Musique, Astronomie, chacune avec leurs attributs symboliques.
Bien que l’ensemble soit attribué majoritairement à Orazio, Artemisia aurait peint plusieurs figures, en particulier certaines Muses et allégories, comme Polyhymnia ou Euterpe.
Orazio et Artemisia Gentileschi_Allégorie de la Paix et des Arts_vers 1625-1635_ Plafond de la Halborough House, Londres (Westminster) Royal collection_Reproduction
La seconde salle « entre filiation et émancipation » est centrée sur la tension entre l’influence paternelle d’Orazio Gentileschi et l’affirmation personnelle d’Artemisia.
L’exposition montre comment Artemisia émerge sous l’ombre tutélaire d’Orazio (son apprentissage, son style emprunté au père et au Caravage), puis s’en détache pour développer un langage pictural profondément personnel et engagé.
Artemisia se forme dans l'atelier de son père Orazio, peintre d'histoire, renommé pour son style lyrique, héritier du maniérisme.
Comme les autres apprentis, elle commence à copier les oeuvres de son père, élaborant des compositions d'après ses dessins et bénéficie de ses corrections. Orazio reconnaît rapidement les talents de sa fille mais Artemisia reste confinée dans le foyer familial, privée de le l'accès aux Académie, et aux vestiges de l'Antiquités réservés aux peintres masculins.
Elle progresse pourtant avec rapidité, et ses premières oeuvres se distinguent de celles de son père.
Durant ces premières années, elle peint des portraits et des petits tableaux comme "La Vierge de l'Annonciation". Sa première oeuvre datée et signée est "Suzanne et les vieillards" en 1610 (dont l'oeuvre exposée est interdite à la photo).
Cette oeuvre reflète l'influence du père, le geste de Suzanne rappelant celui d'un David d'Orazio.
Le lien étroit entre Artemisia et les héroïnes féminines qu'elle représente devient d'autant plus marquant au regard des épreuves traumatiques qu'elle subit dans sa vie.
les oeuvres de cette période témoignent à la fois de la continuité de l'influence du père mais aussi son affirmation progressive en tant qu'artiste indépendante.
Orazio écrit à Christine de Lorraine, grande duchesse de Toscane le 3 juillet 1612 "Artemisia, en trois ans est devenue si habile que j'ose dire aujourd'hui qu'elle n'a nul autre pareil, ayant déjà réalisé des oeuvres dont il se peut que les principaux maîtres de cette profession n'atteignent pas la maîtrise".
David et Goliath" d’Orazio Gentileschi illustre le moment biblique où le jeune David décapite le géant Goliath après l’avoir vaincu.
Le sujet tiré de l'Ancien Testament (victoire du jeune berger David sur le géant philistin Goliath) est traité de manière baroque et influencé par Caravage (fort clair-obscur, naturalisme dramatique).
Artemisia traitera aussi ce thème avec une charge plus dramatique encore.
Orazio Gentileschi, 1563-1639_David et Goliath_vers 1605-1607_Huile sur toile_Dublin, National Gallery of Ireland
"Judith et sa servante" d’Orazio Gentileschi illustre l’histoire tirée du Livre de Judith (Ancien Testament).
Judith, une veuve juive, sauve son peuple en séduisant et en décapitant le général assyrien Holopherne, avec l’aide de sa servante Abra.
Dans cette version, Orazio représente le moment après le meurtre, quand Judith et sa servante fuient la tente avec la tête d’Holopherne dans un sac.
Orazio ne montre pas l'acte de la décapitation, mais le moment de fuite, tendu, silencieux, comme une scène de théâtre. Malgré la gravité du sujet, tout est grâce et contrôle dans les gestes, les regards, la lumière.
Orazio adopte une vision masculine classique, avec Judith noble et distante, Artemisia, au contraire, en tant que femme et victime de violences, donne à Judith un rôle de vengeance féminine puissante, avec un réalisme saisissant.
Là où Orazio est élégant et narratif, Artemisia est physique.

Orazio Gentileschi, 1563-1639_Judith et sa servante_vers 1612_Huile sur toile_Bilbao, Museo Bellas Artes de Bilbao_Don d'Oscar Alzaga Villaamil en 2021.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Judith et sa servante_vers 1615_Huile sur toile_Florence, Galleria degli Uffizi
La "Vierge et l'enfant" est attribuée à Artemisia dans un inventaire de 1637. Il relève de l'influence des tableaux de son père. Cependant Artemisia s'éloigne progressivement du style d'Orazio pour tracer sa propre voie artistique, plus intime, plus réaliste.
Le geste délicat de l'enfant et la somnolence de la Vierge suggèrent le douceur, mais aussi la fatigue de la maternité.
Grâce à l'usage de cartons, Artemisia a peint plusieurs Madonne sur la même composition.

Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Vierge à l'enfant_vers 1612_Huile sur toile_Rome, Galleria Spada.
Le tableau "Suzanne et les vieillards" est exposé mais interdit aux photos.
Suzanne surprise au bain par deux vieillards repousse leurs avances malgré leur menace de l'accuser d'adultère.
Cette oeuvre révèle le talent précoce d'Artemisia qui n'a que 17 ans lorsqu'elle peint ce tableau.
Artemisia impose son style par le réalisme du corps féminin, naturalisme qu'elle adopte en s'observant dans le miroir.
Outre l'influence de son père, le rôle du Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio) est important sur Artemisia tant sur le plan stylistique que thématique.
Artemisia adopte le ténébrisme, cette technique radicale de lumière dramatique sur fond noir, typique de Caravage. Cela donne une intensité émotionnelle extrême à ses scènes.
Comme Caravage, Artemisia peint des corps vrais, marqués, souvent dans l’effort ou la douleur.
Elle refuse les figures idéalisées : ses Judith, Suzanne ou Cléopâtre sont physiques, incarnées, et leurs émotions sont palpables (peur, colère, fatigue).
Comme Caravage, elle choisit des sujets bibliques forts : Judith, Suzanne, Lucrèce, Cléopâtre... mais contrairement à Caravage, Artemisia y ajoute une perspective féminine inédite : ses héroïnes ne sont pas des objets de désir, mais des sujets de volonté, de lutte ou de révolte.
Elle ne copie pas Caravage : elle le prolonge, avec une subjectivité et une sensibilité propres. Elle transforme les scènes tragiques en affirmations de la force féminine, souvent lues comme des catharsis personnelles, notamment après le viol qu’elle subit en 1611.
Orazio a travaillé avec Caravage à Rome. Il a transmis à Artemisia non seulement les techniques caravagesques, mais aussi les contacts et modèles stylistiques, mais Artemisia dépasse bientôt son père par la puissance émotionnelle et l'implication personnelle de son œuvre.
Dans ce Ecce Homo, Caravage illustre l'instant où le Christ est couronné d'épines, les mains liées et reçoit par dérision un roseau comme sceptre du roi des Juifs, tandis que manteau pourpre repose sur ses jambes.
L'oeuvre se distingue par une simplicité de décor et un puissant clair-obscur qui accentue l'anatomie réaliste du Christ et du bourreau de dos.

Michelangelo Merisi dit Caravage,1571-1610_Le couronnement d'épines_Vers 1605_Huile sur toile_Banca popolare di Vicenza.
Le tableau d'Orazio sur le même thème reprend une composition similaire, mais les détails violents du Caravage ont disparus.
Selon sa première biographie, durant ses années de formation, Artemisia prenait plaisir à copier les oeuvres du Caravage qu'elle pouvait voir dans les églises.


Orazio Gentileschi, 1563-1639_Le couronnement d'épines_vers 1613-1615_Huile sur toile_Brunswick, Herzog Anton Ulrich Museum Danaé est la fille du roi d’Argos, enfermée par son père dans une tour de bronze pour empêcher la prophétie selon laquelle son petit-fils le tuerait.
Zeus s’introduit auprès d’elle sous forme d’une pluie d’or et la féconde. Elle donne naissance à Persée.
Dans la peinture classique, ce thème est souvent prétexte à l’érotisme.
Artemisia renverse ici la vision masculine du mythe? au lieu de l’érotiser, elle montre une femme enfermée, pénétrée contre son gré, ce qui évoque une violence symbolique. Ce traitement peut être lu à la lumière de son propre traumatisme.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Danaé_vers 1612_Huile sur toile_Saint Louis Art Museum
Cette oeuvre, attribuée à Artemisia en 2017, s'inscrit dans une série qu'elle a ensuite consacrée au héros biblique, un thème cher à Orazio.
Artemisia a souvent peint Judith, considérée comme l'équivalent féminin de David.
Le tableau se distingue par une grande maîtrise technique et est influencé par le caravagisme.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_David avec la tête de Goliath_vers 1610_Huile sur toile_Anvers, Koninklijk Museum Schone Kunsten Antwerpen_dépôt d'une collection particulière
Les années florentines marquent une étape décisive dans la carrière d'Artemisia Gentileschi.
Arrivée à Florence fin 1612, elle intègre rapidement la cour des Médicis, un milieu où se côtoient nobles, poètes, érudits, artistes et musiciens.
Au contact des artistes locaux elle affine sa technique et améliore sa maîtrise de l'anatomie.
En 1616, elle est inscrite en tant que membre de la guilde des peintres de l'Accademia del Disegno à Florence.
Ses relations lui ouvrent les portes de cercles littéraires et académiques d'autres villes où elle s'établira plus tard.
Sa rencontre avec Côme de Médicis est cruciale. Le grand duc lui commandera de nombreux tableaux, dans lesquels elle reproduit ses propres traits dans l'interprétation de divers rôles.
Ces oeuvres contribuent à son succès à la cour en faisant connaître son image, suscitant de nombreuses commandes.
Sa relation avec l'aristocrate Francesco Maria Maringhi lui amène un soutien affectif et financier et l'introduit auprès de plusieurs commanditaires.
Francesco Bianchi Buonavità, 1583-1558_Allégorie du génie_1616-1617_Huile sur toile_Florence, Fundazione Casa Buonavità.
L’Allégorie de l’Inclination est une œuvre rare et emblématique peinte à une période clé de sa carrière.
Il s’agit d’une commande prestigieuse, qui révèle beaucoup sur sa reconnaissance artistique précoce, mais aussi sur les limites imposées à son art par la société patriarcale.
C'est une commande de Michelangelo Buonarroti le Jeune (arrière-petit-neveu de Michel-Ange). Elle fait partie d'une série de huit allégories destinées à glorifier Michel-Ange.
L'œuvre représente une femme nue, flottant dans les airs, tenant une boussole (ou un compas), symbole de guidance intérieure, et une étoile brillante fixée au plafond, symbolisant l’inspiration ou la vocation innée. Elle incarne l’inclination naturelle de Michel-Ange pour l’art, son génie inné, son talent prédestiné.
Ce n’est pas un portrait d'Artemisia, mais une personnification de l'idée de vocation artistique.
Vers 1684, les héritiers de la famille Buonarroti jugent la nudité trop indécente. Ils font ajouter un voile peint par l’artiste Baldassarre Franceschini (Il Volterrano), qui couvre entièrement le corps de la figure, transformant la pureté allégorique en une image plus "pudique".
En 2023, des scans infrarouges et des technologies numériques ont permis de reconstituer virtuellement la version originale, révélant la beauté et la finesse du travail d’Artemisia.
Longtemps méconnue et déformée par la couche postérieure pudibonde, l’Inclination est aujourd’hui revalorisée comme un acte de courage artistique.
Elle est devenue un symbole de la censure morale, mais aussi de la résilience des femmes artistes.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Allégorie de l'Inclination_vers 1615-1616_Huile sur plafond_Florence, (peinture à l’huile sur plâtre sec, type fresque « à l’huile») Fundazione Casa Buonaroti_environ 160 cm de haut
La demande pour es oeuvres d'Artemisia s'accompagnait de commandes de copies et de variantes de ses compositions les plus célèbres, notamment Judith décapitant Holopherne.
L'original conservé au Museo di Capodimonte à Naples, s'inspire du traitement du sujet par le Caravage, mais Artemisia accentue la violence.
Réalisé à l'époque du procès intenté à Agostino Tassi, ce tableau a suscité de nombreux commentaires pro-féministes.
L'oeuvre a marqué ses contemporains. Artemisia en a réalisé un exemplaire pour Cosme II de Médicis.
Copie d'après Artemisia Gentileschi_Judith décapitant Holopherne_XVIIe siècle_Huile sur toile_Bologne, Pinacoteca Nazionale di Bologna


Fac-similé d'une lettre d'Artemisia Gentileschi.
Les femmes peintres à l'époque d'Artemisia étaient souvent cantonnées au genre du portrait et de la nature morte.
Dès le début de sa carrière, Artemisia ambitionne de dépasser ces limites en abordant la peinture d'histoire, le domaine considéré comme le plus noble, celui des grands récits de l'antiquité, de la bible et de la mythologie.
Cependant son talent pour le portrait a été salué par ses contemporains.
Elle excelle dans l'art de restituer les personnalité de ses modèles. Son style évolue entre sa période florentine et son retour à Rome en 1620, motivé par son endettement et peut être aussi à cause des rumeurs au sujet de sa relation avec Maringhi.
Elle adopte un style plus doux, en harmonie avec les tendances romaines de l'époque.
Les portraits lui permettent d'établir des relations avec des clients fortunés, susceptibles de lui fournir d'importantes commandes.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Tête d'héroïne_1620_Huile sur toile_Belgique, collection particulière
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Portrait d'une dame tenant un évntail_vers1620-1625_Huile sur toile_Sovrano Militare Ordine di Malta
L’Autoportrait en joueuse de luth est un tableau plus fascinant, car il mêle subtilement représentation artistique, identité féminine et stratégie sociale.
Une femme, assise à mi-corps, tient un luth sur ses genoux, elle est richement vêtue d'une robe de soie aux manches bouffantes parée de bijoux et d’un turban oriental. Elle tourne la tête vers le spectateur avec un regard concentré et posé. L’arrière-plan est sombre, dans le style caravagesque.
L’identification comme autoportrait fait débat chez les historiens de l’art. Cependant, de nombreux éléments appuient cette hypothèse, le visage correspond à d’autres portraits connus ou autoportraits d’Artemisia et elle a souvent utilisé son propre visage dans ses tableaux, notamment pour Judith, Cléopâtre, ou Suzanne.
Ce tableau a probablement été commandé par le grand-duc de Toscane, qui souhaitait une image flatteuse de l’artiste.
Dans l’imaginaire du XVIIᵉ siècle, le luth est souvent associé à l’éducation féminine, à l’harmonie des sphères, mais aussi à la séduction.
En se représentant ainsi, Artemisia revendique son éducation artistique et musicale, sa maîtrise d’un art noble, et sa capacité à séduire intellectuellement, non pas sexuellement.
Le turban et la tenue exotique peuvent signaler un goût pour le pittoresque mais aussi une mise en scène de soi comme femme artiste rare et précieuse.
L’influence de Caravage est manifeste avec le fond noir, la lumière dirigée, la chair dorée par la lumière.
Elle contrôle son regard, sa posture, sa présentation, elle se représente en sujet et non en objet.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Autoportrait en joueuse de luth_vers 1614-1615_Huile sur toile_Hartford CT, Wadsworth Atheneum Museum of Art, Charles H Schwartz Fund
Ce portrait en pied d'un gonfalonier (porteur d'étendard) représente un chevalier de l'ordre des Saints Maurice et Lazare, reconnaissable à sa croix d'argent et sa bannière à panache.
Il adopte une position autoritaire typique des portraits officiels du XVIIe siècle, exprimant pouvoir et prestance.
Dans ce tableau, Artemisia insuffle un certain réalisme d'origine caravagesque, la lumière découpant la silhouette.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Portrait d'un chevalier de l'ordre des saints Maurice et Lazare_1622_Huile sur toile_Belgique, Collezioni Communali d'Arte
Piero della Valle (1566-1652) écrit un sonnet à propos d'Artemisia Gentileschi
"Belle main, qui manie le pinceau et la plume
si bien qu'elle confère l'immortalité"
"Portrait d'un chevalier de l'ordre de saint Etienne" est exposé pour la première fois comme une oeuvre d'Artemisia.
Elle est signée "Artemisia Lomi", patronyme qu'elle utilise à Florence.
Le tableau montre un homme en armure sombre, debout ou en buste, portant la croix rouge à huit pointes sur la poitrine, l’insigne de l’Ordre de Saint-Étienne, un ordre militaire et religieux fondé par Cosme Ier de Médicis à Pise en 1561.
Il a un visage sérieux, concentré, volontaire, son armure est rendue avec un grand réalisme métallique avec reflets, gravures, textures.
La posture noble, mais sans arrogance, suggère une dignité silencieuse.
Artemisia, connue pour peindre des femmes puissantes, montre qu’elle peut aussi réaliser des portraits masculins de prestige.
L’Ordre de Saint-Étienne était réservé à l’élite aristocratique de Toscane, ce qui montre qu’elle bénéficiait de commandes prestigieuses à la cour des Médicis.
Les couleurs sont sobres, noir, gris, métal, avec quelques touches rouges très caravagesques.
C'est un portrait de pouvoir peint par une femme.
"Je montrerai à votre illustre Seigneurie, ce qu'une femme peut faire " Lettre d'Artemisia à Don Antonio Ruffo, 7 août 1649.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Portrait d'un chevalier de l'ordre de saint Etienne_1620_Huile sur toile_Belgique, Collection particulière
Plafond_Agostino Tessi et Orazio Gentileschi_1611-1617_Plafond du casino delle Muse, palazzo Pallavicini Rospigliosi, Rome_Reproduction
Durant son deuxième séjour romain, Artemisia fréquente des cercles littéraires. Elle est célébrée pour son talent et son savoir.
Le français François Vouet la représente sous les traits d'Artémise, puissante reine antique dont le portrait est en début d'exposition.
Artemisia est intégrée dans le milieu des peintres caravagesques composés en grandes partie d'étrangers comme Leonart Bramer, Claude Lorrain, David de Haen...
Par Leonart bramer (1596-1674)_ portrait de Nicolas Régnier, portrait de David de Haen, portrait de Claude Lorrain, portrait de Gerrit van Hontborst, portrait d'Artemisia en homme à moustache_1620_Dessins à la pierre noire, plume et encre brune sur papier_Breuxelles, Musée Royaux des Beaux Arts de Belgique
En tant que peintre d'histoire, Artemisia excelle dans la représentation des figures surtout féminines, issues de la mythologie et des texte religieux.
L'interprétation sensuelle et héroïque qu'elle parvient à leur donner est souvent audacieuse.
Elle se démarque de ses contemporains par sa capacité à sublimer les visages.
Elle est aussi particulièrement appréciée par ses figures isolées sur fond sombre, à la manière caravagesque, qui s'attachent à la psychologie des personnages.
Forte de son succès, Artemisia dirige à Rome son propre atelier à partir de 1630.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Madeleine pénitente_vers 1620-1630_Huile sur toile_Londres, Milan Paris New York, Robilant Voena
La Madeleine pénitente peinte vers 1625, est une œuvre puissante, sensible et profondément humaine. Elle s’inscrit dans une tradition iconographique très populaire au XVIIᵉ siècle, celle de Marie-Madeleine repentante.
Artemisia en donne une lecture intime et originale, loin des stéréotypes érotiques habituels.
Elle n’est pas lascive, ni provocante mais épuisée, habitée par une douleur intérieure.
Elle exprime un désespoir mystique, une intensité existentielle.
C’est une figure vivante, humaine.
La figure émerge d’un fond sombre, éclairée de façon dramatique.
Le clair-obscur accentue l’émotion.
Plusieurs historiens d’art y voient une projection intime d’Artemisia. À cette époque, elle a vécu des pertes personnelles, des difficultés financières et des tensions professionnelles. Ce tableau pourrait être autobiographique, exprimant sa propre souffrance et sa quête de rédemption ou de sens.
La Madeleine devient un alter ego féminin, entre force et douleur.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Madeleine pénitente_vers 1625_Huile sur toile_Séville
Plongée dans le sommeil, Vénus repose dans un écrin de velours et de damas, éventée par Cupidon.
A l'arrière plan le paysage vallonné laisse apparaître un petit temple.
La composition s'inscrit dans la tradition des Vénus du Caravage.
Ce type de tableau érotique était prisé des collectionneurs romains. L'usage abondant du bleu outre mer, pigment coûteux suggère un commanditaire fortuné.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Vénus endormie_vers 1626_Huile sur toile_Richmond, Virginia Museum of Fine Arts.
Artemisia réalise cette oeuvre commandée par le duc de Guise, à Naples.
Délaissant son répertoire narratif habituel, elle adopte une composition allégorique classique inspirée du répertoire de Cesare Ripa, La Muse de l'histoire, couronnée de lauriers et confiante.
En signant le livre ouvert, Artemisia inscrit son nom dans l'histoire.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Clio, muse de l'histoire_vers 1622_Huile sur toile_Pise , Fondazione Pisa, Palazzo Blu.
Minerve, la déesse romaine de la sagesse, de la stratégie militaire et des arts, est représentée en position assise, vêtue d’un riche drapé et portant une couronne de laurier, symbole de victoire et de sagesse.
Elle tient un sceptre dans la main droite et, en bas à droite, le bouclier de Méduse, attribut mythologique traditionnel.
Le visage est expressif, calme, et éclairé par un clair-obscur typiquement caravagesque avec fond sombre et lumière ciblée.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Minerve_vers 1635-1639_Huile sur toile_Florence, galerie degli Uffici
"Saint Jean-Baptiste dans le désert" récemment redécouverte date probablement des années 1630.
Le tableau représente un jeune Jean-Baptiste dans un paysage désertique, vêtu d’un vaste drapé doré flamboyant. Il est couronné de lauriers et tient une croix de roseau miniature accompagnée d’un agneau, avec un cartellino (un petit trompe-l'œil peint dans un tableau,) indiquant « ECCE AGNUS DEI ».
Le traitement somptueux et dynamique du drapé doré rappelle des œuvres tardives d’Artemisia, témoignant d’une influence des peintres vénitiens.
Le visage de Jean-Baptiste évoque celui de la Minerve, suggérant un même modèle ou une inspiration identique. La posture et l’éclairage contribuent à une représentation idéalisée, proche de l’allégorie plutôt que de l’hagiographie traditionnelle.
Jean-Baptiste est rarement associé à une figure avec une couronne de laurier.
Ici sa représentation est plus proche d’un jeune héros humanisé que d’un ermite ascétique.
Selon les archives, Artemisia a peint au moins deux versions du sujet, une pour le duc de Alcalá à Séville, une autre mentionnée dans une lettre envoyée à Cassiano dal Pozzo en 1637 .

Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Saint Jean Baptiste dans le désert_1630_Huile sur toile_Collection particulière
Les femmes héroïques, omniprésentes dans la peinture d'Artemisia sont tantôt violentes, tantôt victimes de violence, telles Suzanne, Judith Yaël, Lucrèce et Cléopâtre.
Artemisia leur insuffle une puissance, une profondeur et une empathie qui prennent tout leur sens à la lumière de son expérience personnelle.
Elle souligne leurs vertus et accentue leur sensualité.
Cette association d'Eros (l'amour) et de Thanatos (la mort) imprègne l'imaginaire de l'artiste.
"Yaël et Siséra" illustre un épisode biblique du Livre des Juges (chap. 4), dans lequel Yaël, femme courageuse du peuple des Quénites, tue Sisera, le commandant ennemi, en lui enfonçant un piquet de tente dans la tempe alors qu’il dort.
Yaël est agenouillée, drapée dans une robe dorée éclatante, tandis que Sisera, vêtu de rouge et bleu, est allongé à terre, la tête immobilisée sur un socle sombre — la composition crée un choc visuel au sein du clair-obscur baroque.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Yaël et Siséra_1620_Huile sur toile_Budapest, Musée des Beaux Arts
Cléopâtre est partiellement dénudée, la tête rejetée en arrière, visage tourné vers le ciel.
Le fond sombre amplifie l’effet du clair-obscur, typique des caravagesques.
Artemisia privilégie ici une vision tragique et poignante plutôt qu’une figure idéalisée.
On y distingue les emblèmes héraldiques de la famille Borromée (couronne dorée, devise "Humilitas", anneaux entrelacés) sur l’oreiller rouge derrière elle, suggérant un commanditaire influent.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Cléopâtre_1639-1640_Huile sur toile_Paris; Gallerie G Sarti.
Cléopâtre est représentée assise, de trois-quarts, le bras droit tendu, prête à être mordue par le serpent.
La peau éclatante contraste avec la draperie rouge vif, révélant une association entre douleur et sensualité. La pose suggère un érotisme tragique.
Le visage est souvent interprété comme un autoportrait .
Le style est ténébreux, fortement influencé par Caravage avec son fond sombre, son éclairage dramatique, le contraste des volumes.
Le choix de représenter la mort par morsure incarne l’équilibre entre l’Éros (désir, beauté) et Thanatos (mort, tragédie).
Cléopâtre incarne une femme souveraine qui refuse l’humiliation d’une défaite publique, choisissant la mort comme ultime acte de liberté personnelle.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Cléopâtre_vers 1620_-1625_Huile sur toile_Fondazione Cavallini Sgarbi
Cléopâtre a la tête légèrement basculée, les yeux clos, dans l’agonie suite à la morsure du serpent.
La scène évoque une mélancolie tragique montrant une douleur silencieuse, humaine et sacrée.
Le clair‑obscur reste typiquement caravagesque. La peau de Cléopâtre est baignée dans une lumière douce, détachant le corps du fond sombre.
Initialement attribuée à Massimo Stanzione, l’œuvre a été réattribuée à Artemisia grâce à son intensité psychologique et son rendu naturel du corps féminin.
Artemisia Gentileschi, 1593-vers 1656_Cléopâtre_vers 1630_1635_Huile sur toile_Collection particulière
En quittant cette exposition, nous avons mesuré la puissance artistique et symbolique d’Artemisia Gentileschi.
Première femme peintre de l’histoire occidentale à avoir mené une carrière indépendante, elle a su imposer sa voix singulière dans un univers dominé par les hommes.
Par son maîtrise du clair-obscur, son traitement dramatique des scènes bibliques et mythologiques, et surtout par la puissance psychologique de ses héroïnes, Artemisia a égalé voire dépassé l’héritage du caravagisme pour en faire un langage profondément personnel.
Cette exposition ne célèbre pas seulement une peintre virtuose : elle rend hommage à une femme forte, libre, créatrice, dont les œuvres résonnent aujourd’hui plus que jamais.
Elle est résolument moderne.
« Les femmes seront toujours les égales des hommes dans les arts, pourvu qu’on leur en donne la possibilité. »
Texte de Paulette Gleyze
photos de Paulette et Gérard Gleyze