lundi 11 mars 2019

Des Samouraïs au Kawaii


Dans le cadre du 160ème anniversaire du traité qui en 1858 établit les relations diplomatiques entre le Japon et la France, le musée Dauphinois de Grenoble organise une exposition intitulé "des Samouraïs au Kawaii" qui montre les relations tissées entre le Japon et la France de 1543 à nos jours.
Le musée des Confluences de Lyon est le principal partenaire de cette exposition.

Dimanche 13 janvier 2019, nous visitons cette exposition.
Tout le long du parcours nous pouvons admirer des œuvres exceptionnelles du 16ème siècle à nos jours et l'histoire croisée des 2 civilisations.

La première partie de l’exposition nous fait découvrir comment les navigateurs portugais ont découvert en 1543 une des îles de l’archipel du Japon, l’introduction du christianisme, jusqu’à son interdiction et la fermeture pendant plus de deux siècles du Japon.

Une série d’objets est exposée et nous montre le croisement des cultures. Des objets typiquement occidentaux décorés de manière très élégante de motifs nippons.

Des objets guerriers, fusils, armures de samouraïs.

Et aussi les estampes, masques nô, instruments de musique, théières, vaisselles …autant de choses qui montrent la richesse culturelle du Japon pendant la période Edo.

Au 13ème siècle Marco Polo évoquait déjà un pays de l'or nommé Cipango, mais il faut attendre 1543 pour que des navigateurs portugais pris dans un typhon échouent sur l'île de Tanegashima au Japon.
C'est alors un formidable débouché pour le commerce et les marchands qui s'ouvre.
Les premiers comptoirs portugais espagnols et néerlandais se situent à Nagasaki, Kagoshima et Tanegashima.

Ce paravent Nanban (1575/1600) évoque les 1er échanges commerciaux entre japonais et portugais. Il a été réalisé pour des notables japonais pour illustrer les européens, (les navigateurs aux longs nez), leurs navires et leurs cargaisons.

Avec l’arrivée des portugais se met en place un commerce d’objets précieux (aux décors raffinés) vers l’occident, exemple cet écritoire Nanban (barbare) en bois laqué noir et poudre d’or et incrusté de nacre et ferrures en cuivre.
 

 En 1549, le jésuite François Xavier arrive en mission d'évangélisation.

Avant l’arrivée des Portugais le shintoïsme était la religion du japon qui coexistait avec le bouddhisme.
Le christianisme se répand rapidement avec l’arrivée de François Xavier et aussi en raison de l’activisme des missionnaires.

Mais en 1587, un édit interdit le christianisme devenu trop puissant.

Des rivalités entre jésuites et franciscains et des tensions avec les japonais provoquent l’exécution de chrétiens en 1597.
En 1614, la religion chrétienne est interdite, les missionnaires expulsés et les églises fermées. Suite à la révolte des paysans chrétiens de Shimabara (1637-1638) et à l’expansionnisme occidental, le Shogun ordonne en 1641, la fermeture du Japon.
Cette eau-forte de Jacques Callot (1592-1635) illustre les persécutions des chrétiens.

Hasekura Tsunenaga est un samouraï chrétien (huile de 1615 par Claude Deruet 1588-1660) qui a été envoyé en Amérique et en Europe entre 1613 et 1620. Il avait pour mission d’établir des relations commerciales et de rencontrer le Pape. L'interdiction du christianisme au Japon en 1614 met un coup d’arrêt à sa mission.

Son bateau s’échoue à St Tropez lors d’une tempête. Il est de ce fait le 1er japonais à débarquer sur le sol français.
 

Les samouraïs apparaissent au IXe siècle et ils prennent le pouvoir au XIIIe siècle en créant un système monarchique dirigé par le Shogun.
Les samouraïs étaient chargés de prélever les impôts et de maintenir l'ordre. Ils devaient être prêts au combat en permanence pour défendre leur clan.
Durant 7 siècles trois dynasties de Shogun se succèdent : les Minamoto, les Ashikaga et les Tokugawa. Des combats incessants entre propriétaires terriens fait de l'époque féodale au japon une période sanglante. Cette dernière se termine avec la réunification du pays. S'ouvre alors une période de paix sous la domination du clan Tokugawa qui dure plus de deux cents ans, c'est la période Edo (1603-1868).
Estampe du 19e siècle de Utagawa Kuniyoshi (1798-1861) qui représente Musashibo Benkei.

Musashibo Benkei est un moine guerrier du 12e siècle entré dans le folklore japonais. Il a été formé à l’art de la guerre dans un monastère bouddhiste. La légende raconte qu’il a lancé le défi de prendre 1 000 sabres, et il a attaqué tous les guerriers qu’il croisait. Au millième sabre, il été battu par Yoshitsune du clan Minamoto dont il devient le fidèle vassal.
Durant la période Edo (env 1600-1868) les Samouraïs conservent leurs attributions même s'ils deviennent plus protocolaires.
Leur code d’honneur est basée sur la loyauté, le courage et l’honneur. Les armures étaient coûteuses et portées par les daimyo (seigneurs) et les riches samouraïs.
Constituées d'une dizaine de pièces, les armures protègent le guerrier, indiquent son statut social et permettent de le reconnaître sur le champ de bataille.

Symbole de force et de puissance, seuls les samouraïs pouvaient porter le sabre long (katana) et le sabre court (wakizashi), l'ensemble formant le daisho apanage des samouraïs et marque de leur position sociale.

La lame du katana est considérée comme l’âme du guerrier.
Ces sabres datent de l'époque Edo (1603-1867).
 

Ce casque Nanban du 16e siècle en acier, cuir, laque et soie illustre les échanges entre l’Europe et le Japon, notamment en termes d’armement.
Le casque européen a été adapté aux usages japonais.

L’Europe a également introduit les armes à feu au Japon, qui ont été utilisées entre clans rivaux lors de batailles.
Iehasu Tokugawa remporte la bataille de Sekigahara en 1600 et devient maître du pays unifié.

Les relations avec l’occident se dégradent. En 1639, le catholicisme est interdit. La même année, Portugais et Espagnols sont expulsés et en 1641 le Japon ferme ses frontières, c'est le sakoku.

Ce Norimono (palanquin) de la fin du 18e siècle en bois laqué et en soie était probablement destinée à transporter une épouse de samouraï de haut-rang. L'intérieur est décoré de magnifiques peintures.
 

Une belle séries d'estampes représentant la vie quotidienne.
Utagawa Hiroshige (1797-1858) sensible au labeur des paysans représente ici des paysans dans une rizière.
 

Cette vue urbaine de Utagawa Hiroshige montre une rue animée d'Edo, bordée de boutiques de marchands d'étoffe et montre l'effervescence de cette ville (1856).
 

Katsuhika Hokusaï (1760-1849), plutôt connu pour ses paysages, a également dépeint les artisans, commerçants paysans dans leur environnement. Ici un marchand de bois.
 

De Kitagawe Utamaro (1753-1806), une scène dans une maison de courtisanes.

Cette estampe de Uatagawa Toyoharu (1735-1814) représente l'intérieur d'un théâtre. L'artiste utilise les lois de la perspecive occidentale qui étaient connues au japon par l'importation de gravures européennes via le port de Deshima.

Des boîtes à papier du début du 19e siècle en laque et décor polychrome représente un groupe de six hommes considérés comme des génies de la poésie médiévale japonaise. Ils sont vêtus de riches vêtements et coiffés du kanmuri chapeau porté par la noblesse impériale.

Boîte à décor de libellule et liseron du début du 18e siècle
 

Un écritoire portatif du début du 18e siècle en bois laqué
 

Un masque de Bugaku de l'époque Edo en bois peint et crin, métal et soie. Il appartient à la tradition ancestrale de danse de cour et de théâtre appelé bogaku. Introduit au 8e siècle de Chine le bugaku était réservé à la cour impériale avant de séduite l'aristocratie guerrière de l'époque Edo. Ce masque est relatif au récit d'un récit du roi-dragon.
 

Masque de Nô du 19e siècle en bois peint. Le Nô est la plus ancienne des formes de théâtre classique japonais apparu au 14e siècle.
Les masques utilisés correspondent au caractère du personnage.

Un album de scènes de kabuki de 1850 de Konishi Hirosada (1810-1864). C'est un album d'estampes de l'école d'Osaka et qui était spécialisée dans les portraits d'acteurs de théâtre.
 

La seconde partie de l'exposition débute au milieu du XIXe siècle, lorsque les américains forcent le Japon à ouvrir ses frontières.
En 1853, quatre bateaux à vapeur menés par le commandant Perry accostent à Edo pour livrer un ultimatum du Président des Etats Unis afin que le Japon ouvre ses frontières sous peine d' être attaqué.
 

Le 08 juillet 1853, les bateaux noirs à vapeur américains accostent au Japon et sèment la panique dans la population nipponne.

Le Shogun cède l'année suivante et ouvre les ports de Nagasaki, Shimoda et Hokodaté aux américains.
Certains seigneurs vivent cela comme un déshonneur, se retournent contre le shogun et annoncent la restauration de l'empereur.
L'empereur Meiji de retour à la tête du Japon en 1867 marque la fin d'une époque et l'entrée dans la modernité.
 

Dès 1844, les relations sont rétablies avec la France
Le 09 octobre 1858, le baron Gros (1793-1870) représentant Napoléon III, signe avec le shogun ce traité de paix, d'amitié et de commerce qui marque le début des relations officielles entre les deux pays.
 

La France devient le partenaire privilégié du shogunat Tokugawa. Le grenoblois Léon Roches (1809-1901), consul de France au Japon de 1864 à 1868 obtient l'approvisionnement de vers et de fil à soie pour l'industrie française. En contre partie, la France apporte son savoir-faire scientifique, industriel et technique.

Le plan de Yokohama (fac-similé de 1865 de François Clipet) est réalisé pour Léon Roches. Ce port, ancien village de pêcheurs est devenu un important centre d'échange avec l'occident. Sur le plan nous pouvons voir le quartier des étrangers et le quartier des japonais séparés par une douane.

Le fac-similé d’une affiche des Messageries Maritimes de 1920, pour rappeler que la France était dépendante de la flotte anglaise pour ses expéditions commerciales. 80% du commerce effectué depuis Yokohama passait par la Grande Bretagne. Il a fallu l’intervention de l’ambassadeur Léon Roches pour que la Compagnie des Messageries Impériales ouvre une ligne Yokohama-Marseille en 1865, ce qui a mit fin au monopole anglais notamment pour le fil à soie acheminé vers Lyon.
 

Une salle composée de lampions éclairées illustre la transformation de la société japonaise.
 

et de très belles affiches publicitaires dignes d’œuvres d'art.
 

Cette publicité pour le comptoir d’exportation de soie de Hara Yushututen de 1908 rappelle que la ville de Lyon, capitale mondiale de la soie, connait son heure de gloire entre 1884 et 1914.
 

Dans la salle suivante nous voyons l'engouement français désigné par le terme de japonisme, inventé par le collectionneur Philippe Burty en 1872, pour désigner l’enthousiasme que procure les objets, les estampes, les livres...en provenance de l'archipel.
Dès l'ouverture du Japon, les français s’enflamment pour cette culture qu'ils découvrent.
Le terme japonisme désigne aussi l'influence de l'art japonais sur les artistes comme les nabis et les impressionnistes.
Comme beaucoup d'artistes, Toulouse-Lautrec a été profondément marqué par les estampes, dont nous voyons ici une de ses aquarelles représentant May Belfort.
 

 Il se manifeste aussi dans le spectacle vivant (les costumes de l’opéra de Puccini Madame Butterfly),
Le Kimono pour l'opéra madame Butterfly (1906) de Puccini a été réalisé par le costumier Félix Régamey (1844-1907). Cet opéra raconte l'histoire d'une jeune japonaise naïve qui tombe amoureuse d'un officier américain qui l'abandonne après l'avoir épousée. L'intrigue est tirée du roman de Pierre Loti, Madame Chrysanthème.
 

Lors de l'exposition universelle de Paris de 1878, l'engouement pour le Japon est à son apogée et le restera jusqu'à la 1er guerre mondiale.

Une illustration du pavillon Taïcoun à l'exposition universelle.

Grenoble a connu le même engouement pour le japonisme. H Viguier, buraliste à Grenoble au début du 20e siècle à l'enseigne "tabac, Chine et Japon" , vendait des objets et tout particulièrement de la porcelaine en provenance de ces deux pays.

Léon de Beylié (1849-1910), grenoblois, officier colonial et amateur d'art a été un grand mécène du musée de Grenoble.
Il a effectué en 1886 un voyage d'agrément au Japon. Il ramène de Nagasaki, Kobé, Osaka, Tokyo, Kyoto des porcelaines, des ivoires, des bronzes, des photos... Sa collection se trouve au musée de Grenoble.

Un pot à couvercle et anses de 1880-1886 en émaux cloisonnés sur cuivre de la collection de Général de Beylié - musée de Grenoble.
 

Assiettes du 19e siècle en porcelaine_collection du général de Beylié_ musée de Grenoble.
 

Une série de photos ayant appartenu au Général de Beylié, de la 2e moitié du 19e siècle en tirages colorisés. Il les avait acquises lors de son voyage au japon.
cérémonie bouddhique

geisha

combat de sumo

porteur de kango (palanquin)

japonaise de profil

jeune fille portant un enfant

Coupe de la 1ère moitié du 19e siècle. Collection de la mairie de Vourey (Isère). Ce bol japonais à décor Imari est monté en coupe avec du bronze doré ciselé. Il est représentatif du goût français au milieu du 19e siècle.
 

Paires de grands vases en émaux cloisonnés sur cuivre d8 1895-1900_collection du général du Beylié_musée de Grenoble.
 

Vase aux carpes de la 2e moitié du 19e siècle du grenoblois Laurent Bouvier (1840-1901). Il était peintre de formation et rencontre à Paris en 1870 le graveur et céramiste Felix Bracquemond. Sur ce vase Laurent Bouvier utilise le motif traditionnel japonais de la carpe ko.

Les peintres grenoblois comme Jules Flandrin ou Lucien Mainssieux nous ont laissés des œuvres dans ce courant.
Jules Flandrin (1871-1947) collectionnait dans son atelier des estampes japonaises et des objets qu'il utilisait dans ses compositions.
J Flandrin devant son atelier où sont exposées des estampes japonaises

cette statuette de bouddha acquise par J Flandrin est le sujet de cette nature morte

estampe de Geisha ayant appartenu à J Flandrin

Lucien Mainsieux (1885-1958), artiste dauphinois, a été sensibilisé à l'art japonais par son maître Jules Flandrin. Il a également fréquenté des artistes japonais à Paris.
portrait d'un asiatique par L Mainsieux

La troisième partie de l'exposition nous montre la fin du japonisme et les nouveaux courants artistiques occidentaux (arts nouveaux et art déco) vont trouver un écho au Japon..

Le Japon est au côté des Alliés pendant la 1ère guerre mondiale mais, malgré les efforts diplomatiques de Paul Claudel (1868-1955), le Japon glisse vers l'impérialisme et le nationalisme et s'engage au côté de l'Allemagne nazie.
Paul Claudel a œuvré pour le rapprochement culturel de la France et du japon en fondant la Maison franco-japonaise à Tokyo en 1924, l'institut franco-japonais du Kansai à Kyoto en 1927 et organise en 1922 une monumentale exposition d'art japonais au Grand Palais à Paris.
Paul Claudel en habit de diplomate

Une série de photos montre la guerre et Hiroshima soufflé par la bombe atomique.

Pour la fin de l'exposition une série d'objets, d'affiches, le livres...du monde japonais dans la modernité.

Cette très belle exposition relate presque cinq siècles d’histoire.

Elle est très bien documentée et magnifiquement illustrée par des objets, des estampes, des photos et par sa très originale salle aux lampions.

Le musée Dauphinois va bien au-delà des Alpes et sait magnifiquement présenter d’autres cultures.
Nous avions déjà vu avec le même intérêt et enthousiasme les expositions sur les Inuits et sur le Tibet.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette et Gérard Gleyze

2 commentaires:

  1. je ne vais pas chinoiser mais dans la modernité il manque sans doute une photo ! je riz jaune non comme dirait Renaud ... je dégosne !!! bises

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  2. Coucou.
    Nous avons vu l'exposition en janvier. J'ai pris plaisir à la revisiter grâce à ton site. Merci. Des bises.

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