mercredi 29 juin 2022

Le jardin Hébert



Le 25 juin 2022, Geneviève B de l'association de l'ARDDS a organisé une visite du jardin du musée Hébert à la Tronche.

Caroline Roussel, historienne de l'Art et guide conférencière va nous faire découvrir ce beau jardin.

Différentes personnes ont contribué à l'édification de ce patrimoine.

Ernest Hébert (1817-1908), futur peintre, a 4 ans quand sa mère, Amélie Hébert achète à la Tronche, en 1821, la partie résidentielle d'un ancien domaine agricole ayant appartenu à des nobles locaux.

La propriété comprend une maison et une orangerie du XVIIe siècle, une petite ferme, un jardin, un verger et une vigne grimpante qui s'enroule autour des arbres. Cette propriété est entourée de murs et située face à la chaîne de Belledonne.

La famille réside dans un appartement à Grenoble mais vient à la Tronche en été pour bénéficier de la fraîcheur.

Ernest Hébert partage sa vie entre Paris et Rome pour mener sa carrière, mais il revient régulièrement dans sa maison d'enfance, qui reste pour lui un refuge très apprécié.

Il modifie peu l'aspect champêtre du jardin. Il conserve les bassins ronds, le verger, l'allée de buis taillé en berceau, le petit bois et des jardinières d'orangers alignés devant la maison.

A son époque, la façade est fleurie par de la glycine et des rosiers grimpants.

En 1860, Ernest Hébert entreprend des travaux dans la maison. Il fait refaire la façade, fait ajouter des balcons à balustres et installer des cheminées et des faux-plafonds à l'intérieur .

En 1880, il épouse la future photographe Gabrielle d'Uckermann (1853-1934) d'origine allemande.
A la mort de son mari en 1908, Gabrielle rassemble ses œuvres et décide de transformer la maison et ses dépendances pour en faire un musée privé.
Pour l'aménagement, elle va récupérer des éléments de la maison bourgeoise du clos Tesseire de la famille Tesseire à la Tronche, qui est démolie, pour y construire le nouvel hôpital civil de la Tronche.
Elle va réemployer les parquets, les cheminées...
Elle meurt en 1934, la veille de l'inauguration du musée.


Pendant la guerre de 1914-1918 elle adopte René Patris d'Uckermann (1897-1992). Adopté après la mort d'Ernest Hébert elle n'a pas pu lui donné le patronyme d'Hébert.
Il va lui aussi apporter sa contribution au développement du patrimoine. Il va faire réaménager en musée le bâtiment de l'autre côté de la rue et faire construire une ferme.
Le musée privé est devenu musée de France et René Patris d'Uckermann donne l'ensemble du patrimoine au département de l'Isère en 1979 qui rénove l'ensemble en 2003.

Sur la porte d'entrée du musée, René Patris d'Uckermann a fait inscrire "Nulla Dies Sine Linea"(pas un jour sans une ligne) en hommage à Ernest Hébert car il peint tous les jours depuis l'âge de 4 ans.

Contre le mur de la maison se trouve la pompe à eau à piston, d'origine. Cette pompe à eau alimentait en eau la maison et la ferme, elle est évoquée dans les écrits de Stendhal, cousin de Hébert.

Sur la façade de la maison du peintre, Gabrielle fait poser le buste d'Hébert en bronze réalisé par Tony Noël (1845-1909), grand prix de Rome de sculpture, pensionnaire sous le deuxième directorat de Hébert.
Hébert y est représenté avec sa physionomie des années 1880.

et un profil sculpté dans le marbre d'Hébert représenté tel qu'il était à la fin de sa vie. C'est un marbre de Henri Lombard (1855-1929). Hébert est représenté avec un bonnet italien en hommage à Garibaldi père de l'unité italienne.

Devant la maison, dans l'allée qui mène au jardin, se trouvent deux belles statues récupérées par René Patris représentant une "chasseuse de perdrix" et un "chasseur au fusil".

Le jardin du musée Hébert a reçu en 2004 le label "jardin remarquable", décerné par le ministère de la culture et de la communication. Il s'étend sur un hectare et demi. C'est un jardin sensoriel tant pour la vue (la beauté du parc et la vue sur les Alpes) que pour l'ouïe, (le murmure de l'au, le chant des oiseaux).

Ce jardin tire ses origines du XVIIe et XVIIIe siècle et est réaménagé par le peintre Ernest Hébert et sa femme Gabrielle.

Il est jonché de souvenirs italiens de l'artiste et est transformé au fil du temps en associant deux types de jardins, régulier à l'italienne devant la maison et paysager à l'anglaise à l'arrière.

Le jardin devant la façade est un jardin "régulier" à l'italienne avec deux bassins qui existaient déjà du vivant de E. Hébert. Il n'y a pas de fleurs.

Les éléments antiques et les bassins évoquent les jardins de la villa Médicis à Rome.

Les formes composées par des bordures de buis et de charmille sont géométriques. Les parterres sont découpés et les motifs sont empruntés à la ferronnerie.

Dans ce jardin, Gabrielle va faire planter des rosiers, très à la mode au 19e siècle.

Au 18e siècle, il y avait en France 20 sortes de roses. Au 19e siècle le rosiériste Pierre Guillot (1855-1918) va développer et greffer des roses, on en décomptera par la suite 7000 catégories.

E. Hébert avait trouvé ce masque antique qu'il offrit à son ami Emile Zola. Ce dernier l'avait placé dans le jardin de sa maison de campagne à Médan.
Hébert l'a acheté aux enchères lors de la vente après le décès d'E Zola.
La vasque du XVIIIe siècle provient de la villa Tesseire à La Tronche.

Nous avançons vers un jardin de verdure clôt par des charmilles, des ifs et des marronniers. Il représente le jardin du paradis.
Dans les arbres sont logés de nombreux nichoirs fabriqués par des enfants.

Nous arrivons au "miroir d'eau" avec au fond "le nymphée", grotte dédiée aux nymphes d'où jaillissait une source.

Cette grotte est composée d'une roche de rocaille sur laquelle la végétation a repris ses droits. La grotte n'a pas de statue mais un rideau d'eau. Autrefois située près de la maison, elle a été déplacée lors de la construction de la grande galerie et agrémentée d'un bassin rectangulaire.

Le jardin Hébert est en totale autarcie par rapport à l'eau. En 1649, les dames de Montfleury (religieuses) ont concédé des droits d'eau provenant de la Fontaine Galante dans le massif de la Chartreuse. Cette eau alimente encore aujourd'hui ce bassin d'où partent dans le sous-sol, des kilomètres de canalisations qui permettent d'alimenter les bassins et l'arrosage.

Le bassin reflète les ombres des arbres et depuis 2013, en son milieu se trouve la barque "waka", canoë Maori en acier inoxydable de Vincent Gontier. Il a découpé des phrases au laser : "Avec ces messages en creux, ces canoës glissent sur des rêves de voyages, des souvenirs d’enfance et la condition humaine".

De part et d'autre du bassin, deux bustes en marbre du XVIIIe siècle qui représentent l’Élégie (chez les anciens c'est une plainte chagrine, une lamentation, une situation de désespoir généralement provoquée par un chagrin d'amour, une séparation) et la Tragédie.

A gauche du "miroir d'eau" nous prenons l'allée de buis qui court le long du mur de clôture, espace ombragé par une allée d'arbres et de nombreux buis centenaires aux formes sculpturales.
Hébert reproduit ce paysage dans des aquarelles.


Le long de l'allée de buis se trouve un banc de pierre que Hébert a peint.

Ce banc est placé symboliquement près d'une colonne où sont inscrits des vers de Théophile Gautier (1811-1872).

En 1863 Théophile Gautier écrit dans "Émaux et camées" le magnifique poème mélancolique, "le banc de pierre" en hommage au tableau d'Hébert. Dans ce patio, les colonnes proviennent de Rome.


Le Banc de Pierre
Théophile GAUTIER

Recueil : "Poésies nouvelles et inédites"

À ERNEST HÉBERT

Au fond du parc, dans une ombre indécise,

Il est un banc, solitaire et moussu,

Où l’on croit voir la Rêverie assise,

Triste et songeant à quelque amour déçu.

Le Souvenir dans les arbres murmure,

Se racontant les bonheurs expiés ;

Et, comme un pleur, de la grêle ramure

Une feuille tombe à vos pieds.


Ils venaient là, beau couple qui s’enlace,

Aux yeux jaloux tous deux se dérobant,

Et réveillaient, pour s’asseoir à sa place,

Le clair de lune endormi sur le banc.

Ce qu’ils disaient, la maîtresse l’oublie ;

Mais l’amoureux, cœur blessé, s’en souvient,

Et dans le bois, avec mélancolie,

Au rendez-vous, tout seul, revient.


Pour l’œil qui sait voir les larmes des choses,

Ce banc désert regrette le passé,

Les longs baisers et le bouquet de roses

Comme un signal à son angle placé.

Sur lui la branche à l’abandon retombe,

La mousse est jaune, et la fleur sans parfum ;

Sa pierre grise a l’aspect de la tombe

Qui recouvre l’Amour défunt !…

1865

Les buis centenaires sont rois dans cet espace.


Quelques pas plus loin, nous arrivons à deux allées parallèles.

Le long de l'une de ces allées, Ernest Hébert va installer sept stèles funéraires païennes en marbre qu'il a rapporté de la Via Appia à Rome à son retour de la Villa Médicis.
C'étaient les supports d'urnes funéraires de citoyens romains.

Sur les stèles Hébert fait graver le nom de chacun de ses chiens (exclusivement des bassets) et les épitaphes écrites par l'abbé Thivolet, curé de la Tronche.

Cette allée fera l'objet d'un des tableaux d'Hébert.


Ces allées débouchent sur une vaste prairie.

Après la mort d'Hébert, en 1908, Gabrielle transforme progressivement la propriété, et elle va remplacer le verger par un jardin paysagé.

La vaste prairie, limitée par une allée de platanes et une allée de hêtres, est ornée d'un étang, « l'étang des nymphéas », d'un groupe de hêtres pourpres du Canada et de cèdres de l'atlas.

L'étang des nymphéas s'inspire des jardins japonais à l'image des jardins de Monet à Giverny. Il est orné de nymphéas, de pétunias, d'iris, d'arômes et de pierres qui représentent l'éternité.

Derrière la maison, Hébert avait fait construire un atelier pour recevoir ses clients. C'est une maison en béton moulé qui provient du cimentier mouleur grenoblois, Cuinat.

Les pierres sont factices.
Hébert peignait rarement dans son atelier, il préférait peindre dans la nature. En novembre 1908, il peint sous la pluie. Il attrape la grippe et en meurt quelques jours plus tard.

Son tombeau en pierre de l'Echaillon, se trouve derrière la maison.

En 1910, Gabrielle a obtenu l'autorisation d'édifier ce tombeau. C'est elle qui en fait l'esquisse à partir d'une fontaine sicilienne (?).

C'est l'architecte grenoblois, Alfred Recoura (1864-1939), prix de Rome d'architecture en 1894, qui va ériger cette stèle.

Une cippe à l'antique en occupe le centre avec, de chaque côté, des lauriers et sur le devant en haut des colonnes des torches des cimetières, qui sont un hommage à la gloire qui perdure.

Dans la partie incurvée, le bas-relief représente la villa Médicis à Rome dont Ernest Hébert a été pensionnaire de 1840 à 1844, puis deux fois directeur, de 1867 à 1872 et de 1885 à 1890.

Hébert aimait passionnément l'Italie, il n'était pas pressé de rentrer en France et écrit : "Rien ne peut me détacher de cette Italie où l'on ait plus maître de soi que partout ailleurs... L'Italie m'a enlacé. De sorte que je ne peux vivre autre-part. Il est donc probable que j'y serai enterré sous quelque grand pin d'Italie, en vue de cette campagne de Rome qui est devenu mon vrai pays"

Amélie la mère de Hébert, Gabrielle sa femme, Mathilde leur petite fille (décédée enfant), René le fils adoptif de Gabrielle et Hébert sont inhumés sous la stèle.


Sur le pignon du mur de la maison, Gabrielle a fait poser des plaques en marbre, gravées des derniers écrits de E. Hébert, hélas pas très lisibles.

Quelques jours avant sa mort, il écrit : ""Nous nous trouvons si bien à la Tronche au milieu de cette verdure en face des Alpes et dans ce silence qui ne se laisse pénétrer que par le doux babil des jets d'eau, que nous retardons de jour en jour le moment où il nous faudra commencer les malles. Paris est trop agité, trop rempli d'automobiles pour mon goût, ce n'est plus la capitale recherchée. C'est une halle où on s'invective quand on ne s'écrase pas. Il y a ici des choses tristes, ce sont le chasseurs qui tuent tout ce qu'ils rencontrent. Il y a aussi les fermiers et fermières qui n'embellissent pas le paysage, mais on peut ne pas les voir en passant vite. Mais ce qui est délicieux c'est le chant des petits oiseaux dans notre bois et le lever de la lune derrière nos Alpes. Ca aide à supporter les fermiers et les chasseurs" 23 octobre 1908. Il décède dans sa demeure le 4 novembre 1908.

A la fin de la vie d'Hébert la construction de la nouvelle route de Chambéry (l'actuelle avenue du Grésivaudan) a amputé le domaine de plus d'un hectare.

La maison de Ernest Hébert est devenue le Musée Hébert en 1934.

En ce moment s'y tient une belle exposition de l'artiste coréenne Ji-Young Demol Park "un regard sur les Alpes".



Après cette belle visite nous nous rendons au restaurant "le chalet" tout proche de la demeure de Ernest Hébert, pour un beau moment de convivialité et de partage.


Bon été à toutes et à tous !


Paulette Gleyze pour le texte

Gérard Gleyze pour les photos


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