mardi 18 avril 2023

Exposition Füssli, entre rêve et fantastique_Musée Jacquemart André_13 novembre 2022


Après avoir vu l'exposition "Munch, un poème d'amour et de mort au musée d'Orsay" :
https://ballades-page3873.blogspot.com/2022/12/munch-un-poeme-de-vie-damour-et-de-mort.html

L'exposition "Rosa Bonheur" au musée d'Orsay :
https://ballades-page3873.blogspot.com/2022/12/rosa-bonheur.html

L'exposition "Sam Szafran, obsession d'un peintre" à l'Orangerie :
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l'exposition "Oskar Kokoska, un Fauve à Vienne" :
https://ballades-page3873.blogspot.com/2023/04/oskar-kokoschkaun-fauve-vienne.html

Le 13 novembre 2022, nous visitons l'exposition "Füssli, entre rêve et fantastique" au musée Jacquemart André à Paris.

Johann Heinrich Füssli ou Henry Füseli (1741-1825) est un peintre et écrivain d'art d'origine suisse naturalisé britannique. Il montre très tôt un attrait particulier pour le mystère et le fantastique.
Autodidacte, il puise son inspiration dans des sources littéraires variées qu'il interprète avec sa propre imagination.

Après avoir été ordonné pasteur en 1761, Füssli est forcé de quitter la Suisse en 1762 pour avoir publié, en collaboration avec Johann Caspar Lavater et Felix Hess, un pamphlet contre la mauvaise administration et la corruption de l'huissier Grebel.
Il traverse l'Allemagne avec Lavater, Hess et le philosophe Sulzret.

En 1764, il part pour Londres avec Sir Andrew Mitchell. Il découvre le monde littéraire et théâtral londonien. Il vit quelque temps grâce à l'écriture, et va publier une traduction anglaise des "Réflexions sur l'imitation des oeuvres grecques dans la sculpture et la peinture" de Joachim Winckelmann.

Il s'interresse dès son plus jeune âge à la dramaturgie anglaise et plus particulièrement à Shakespeare et Marlowe. Dès son arrivée à Londres, il fréquente assidûment les théâtres pour perfectionner sa diction mais aussi par intérêt pour l'expression des passions.

A cette époque, Shakespeare dont les oeuvres ne sont pas encore censurées, sont régulièrement jouées sur scène. Elles auront un impact sur l'imaginaire de Füssli qui sera considéré comme l'interprète de Shakespeare en peinture. Il compose ses tableaux en s'inspirant de la gestuelle et de la mise en lumière du jeu des comédiens.

Macbeth de Shakespeare devient, dans la 2e moitié du 18e siècle, l'une des pièces les plus populaires en Angleterre. Füssli s'intéresse à différentes scènes de la pièce et en exécute plusieurs représentations. Il réussit à donner une grande atmosphère émotionnelle à ses tableaux par la mise en scène et l'expressivité des acteurs.
Il représente les acteurs en mouvement, ce qui représente l'urgence de la situation.

Les trois sorcières apparaissent souvent dans l'oeuvre de Füssli, créatures hybrides et androgynes, elles symbolisent le surnaturel. Cette peinture a souvent été reprise sous forme de gravure.
Les trois sorcières_après 1783_huile sur toile_the Royal Shakespeare Compagy Collection, Stratford upon Avon

Cette peinture illustre la deuxième scène de l'acte 2 de Macbeth : Lady Macbeth horrifiée constate que son mari a encore en main l'arme du crime. Füssli dépeint l'effroi chez la femme et la détermination chez l'homme. L'émotion est poussée à son paroxysme.
Lady Macbeth saisissant le poignard_1812_huile sur toile_Tate Britain, Londres

Présenté en 1784 à la Royal Academy, le tableau annonce le travail futur du Füssli sur plusieurs épisodes du répertoire shakespearien.
J Füssli_Lady Macbeth somnambule_vers 1784_huile sur toile_Musée du Louvre, Département des peintures, Paris

Béatrice, Héro et Ursule_1789_huile sur toile_Gemäldegalerie Alte Meister_Staaliche Kunstmmlungen Dresden, Dresde

Hamlet et le spectre de son père_1796_huile sur toile_Fondatzione Magnani-Rocca, Mamiano di Traversetolo, Parme

Roméo et Juliette_1809_huile sur toile_collection particulière, en dépôt au Kunstmuseum, Bâle

Il visite ensuite en 1766, la France où il rencontre les philosophes David Hume et Jean-Jacques Rousseau.
Il retourne à Londres jusqu'en 1769 et continue à écrire. Il rencontre Sir Joshua Reynolds, premier président de la Royal Academy à qui il montre ses dessins.
Reynolds lui conseille de se consacrer entièrement à la peinture.

Dans les années 1770, il fait un voyage artistique en Italie où il reste jusqu'en 1778, changeant son nom de "Füssli" en "Füseli" pour lui donner une consonance italienne. Il étudie l'art antique et celui de la Renaissance.

En 1777, il envoie à Londres, pour une exposition à la Royal Academy, une toile qui dépeint une scène de Macbeth.

En 1778, il voyage en Suisse où il commence une peinture pour l'hôtel de Ville de Zurich.

En 1780, il revient définitivement à Londres où il va rencontrer William Roscoe, avocat, historien et collectionneur qui va devenir son fidèle mécène.
Autoportrait_1780-1790_pierre noir avec rehauts de blanc sur papier_Victoria and Albert Museum, Londres

Füssli s'inspire d'un passage de l'Eneide de Virgile. Il réalise cette peinture quand il apprend que Sir Joshua Reynolds exposera à la Royal Academy. L'oeuvre reçoit une abondante critique et génère un intérêt pour sa peinture.
J Füssli_1781_La mort de Didon_huile sur toile_Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven

En 1786, il est invité à réaliser des peintures pour la Shakespeare Gallery de John Boydell, célèbre éditeur de gravures. Pour ce projet il va rencontrer un grand succès avec "Songe de nuit d'été" de Hamlet et de Macbeth.
Entre 1786 et 1789, il peint 9 tableaux pour la Shakespeare Gallery de John Boydell, qui regroupe les meilleurs peintres britanniques autour du répertoire shakespearien
Füssli représente le lutin imaginé par Shakespeare dans "Songe d'une nuit d'été"
Robin Goodfellow, dit Puck_1787-1790_huile sur toile_Museum zu Allerheiligen Schaffhausen, Schaffhouse

Tout en continuant de s'inspirer des textes littéraires, il créé des personnages hybrides et des créatures monstrueuses et terrifiantes.
C'est complètement atypique pour l'époque, mais la démarche repose sur son penchant pour le surnaturel mais aussi pour provoquer ses contemporains. Quand il rentre de Rome en 1780 il cherche à se faire remarquer et à occuper une place éminente dans le monde artistique. Il y parvient quand il présente en 1782 "le cauchemar". C'est une création non liée au monde littéraire.
Cette oeuvre a fasciné Freud et a inspiré de nombreux artistes comme Nicolaï Abraham Abildgoard (1743-1809) ou encore Jen Russell. Suite au "Cauchemar" Füssli développe des sujets provoquants et terrifiants. il introduit le thème de la sorcellerie : rites sacrificiels, créatures démoniaques et mystérieuses. L'imaginaire de Füssli se situe entre folie et génie.

La signification réelle du "Cauchemar" reste mystérieuse. Füssli touche aux frontières de la conscience en explorant les cauchemars et les monstres.
Ce tableau accroché en 1782 à l'exposition annuelle de la Royal Academy est un véritable choc, mais un succès. En créant une nouvelle forme de terreur, il établit à Londres sa réputation de grand artiste visionnaire.
Le Cauchemar_après 1782_huile sur toile_The Frances Lehman Loeb Art center, Vassar College, Poughkeepsie, New York

Le Cauchemar_1810_huile sur toile_collection particulière

Ce tableau est une autre version du "Cauchemar". Le regard hagard de la victime témoigne de la confusion de la victime.
L'incube s'envolant, laissant deux jeunes femmes_fin 1780_huile sur toile_collection Farida et Henri Seydoux, paris

Ce chef-d'œuvre est une représentation cauchemardesque d'un passage du paradis Perdu de Milton sur le péché. "La sorcière de la nuit", un cavalier fantomatique entouré d'une meute de chiens apparait dans un halo de lumière interrompant un rituel satanique pratiqué par une sorcière qui s'apprête à sacrifier un bébé.
La sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie_1796_huile sur toile_The Metropolitan museum of Art, new York

Nicolaï Abraham Abildgaard (1743-1809)_Le Cauchemar_1800_huile sur toile_Kunstmuseum, Soro

William Blake (1757-1827)_Tête d'un damné de l'enfer de Dante d'après Füssli_1789-1792_Eau-forte et gravure au burin_British Museum, Londres

Les domaines de la superstition, du rêve et du surnaturel ont un profond attrait pour Füssli. L'exploration de l'inconscient par Füssli a suscité l'engouement des surréalistes pour son oeuvre au début du XXe siècle.
Chez Füssli, le rêve provoque l'apparition d'êtres surnaturels et féériques, comme dans "le rêve de la reine Catherine" où il est synonyme de bonheur et de béatitude.
Dans "le songe du berger", il dépeint une ronde de personnages surnaturels.
Ses créatures fantastiques et ses apparitions sont soit représentées explicitement soit suggérées.
Kriemhild voit en rêve Siegfried mort_1805_graphite, lavis gris foncé et marron, rehauts de blanc sur papier_Kunsthaus Zürich, collection d'arts graphiques, 1916, Zürich

Lycidas_1796-179_huile sur toile_collection particulière

La vision de Milton_1799-1800_huile sur toile_collection particulière

Ce tableau représente une scène de Henry VIII de Shakespeare. Après que le roi ai demandé le divorce à Catherine d'Aragon, celle-ci a une vision de la félicité éternelle avant de mourir. Les esprits prennent la forme de jeunes filles, la reine est représentée dans un sursaut d'agonie tendant le bras vers les esprits. Exécuté la même année que "Cauchemar" ce tableau témoigne de la diversité d'inspirations et de l'inventivité de Füssli.
Le rêve de la reine Catherine_1781_huile sur toile_Lytham St Annes Art Collection of Fylde Council, Lytham St Annes

Le berger profondément endormi, ne prend pas conscience de la farandole de fées qui tourne au-dessus de lui. L'époque de Füssli est celle du questionnement sur le monde et sur ce qui ne peut être vu (les fées et les êtres surnaturels)
Le songe du berger_1793_huile sur toile_Tate Britain, Londres

La femme occupe une place primordiale dans l'oeuvre de Füssli et est un sujet de prédilection pour lui. Dans ses dessins, les femmes sont dominatrices et fantasmatiques. Il a également une grande fascination pou les chevelures qu'il représente sous toutes leurs formes. Les chevelures deviennent un signe de puissance.
Il entretient des relations passionnées avec ses modèles, comme Sophia Rowlins (1770-1832) qu'il épouse en 1788.
Mary Wollstonecraft (1759-1797) dont il a peint le portrait, tombe amoureuse de lui et lui propose de partir avec elle à Paris suivre ls évènements de la Révolution Française.
Il a effectué plus de 800 dessins et croquis de femmes.
Etude d'une jeune femme portant un chapeau et un ruban_1795-1800_Plume et pierre noire sur papier_Victoria and And Albert Museum, Londres

Femme nue vue de dos_1805-1810_Graphite,lavis gris et aquarelle rehauts de blanc sur papier_ the Fitzwilliam Museum, Cambridge

Madame Füssli debout_vers 1790-1795_Mine de plomb, plume et encre brune, aquarelle et gouache sur papier vergé_collection particulière

Etude d'après modèle vivant à la Royal Academy_1801_Plume, encre et lavis gris et bleu sur papier_British museum, Londres

Milton enfant, instruit par sa mère_vers 1796-1798_Plume, encre et aquarelle sur papier_National Museums Northern Ireland, Belfast

Una et le lion_vers 1778-1790_Plume et rehauts de blanc sur papier_The Huntington Library, Art Museum and Botanical Gardens, Sir Bruce Ingram Collection, San Marino

Femme assise_vers 1796-1798_Pierre noire et aquarelle sur papier_National Museums Northern Ireland, Belfast

En 1788, il épouse Sophia Rawlins, l'un de ses modèles et devient membre associé de la Royal Academy. Il rédige des critiques anonymes dans lesquelles il fait largement l'éloge de ses propres oeuvres.
Portrait de Madame Füssli au chapeau rouge_1794_Mine de plomb et aquarelle sur papier_National Museum Northen Ireland, Belfast

En 1789, Füssli est au départ favorable à la Révolution Française.

En 1790 il est élu académicien de la Royal Academy et fait don à celle-ci de sa toile, "Thor luttant contre le serpent Midgard" en tant qu'oeuvre de réception. Le choix du thème en référence à la littérature scandinave montre la volonté de Füssli de se démarquer des peintres contemporains. Le dieu du tonnerre lutte contre le serpent mythique.
Thor luttant contre le serpent de Midgard_1790_Huile sur toile_Royal Academy of Arts, Londres

En 1792, une édition en trois volumes des "Fragments physiognomoniques" de Lavater est publiée. Füssli supervise la traduction et rédige l'introduction.

Il développe dans sa peinture un langage onirique et dramatique, où se côtoient sans cesse le merveilleux et le fantastique, le sublime et le grotesque.
Il peint un certain nombre d'œuvres pour Boydell (graveur anglais du XVIIIe siècle spécialisé dans les gravures de reproduction), certaines sont gravées et publiées dans l'édition anglaise de la Physiognomonie de Lavater.

Homme de lettres et connaisseur de la littérature classique, il aide le poète William Cowper à une traduction d'Homère.
Les récits littéraires l'influencent dans sa manière de penser et de retranscrire dans la peinture les récits mythologiques.
Il s'inspire de la mythologie mais aussi de l'art de Michel Ange et développe un style expressif qui l'éloigne du classicisme. Les corps bougent, se contorsionnent.

Il puise son inspiration essentiellement dans l'Odyssée d'Homère.
Ulysse naufragé sur son radeau reçoir le voile sacré d'Inô-Leucothéa_1805-1810_huile sur toile_collection particulière

Achille saisit l'ombre de Pratrocle_1803_huile sur toile_Kunsthaus Zürich

Achille saisit l'ombre de Pratrocle_vers 1810_mine de plomb, craie et aquarelle sur papier_Kunsthaus Zürich

Ixion vénérant Héra_Non daté_Plume et lavis_The Huntington Library, Art Museum and Botanical Gardens_Gilbert Davis collection, San Marino

Les connaissances religieuses qu'il a acquises pendant sa formation de pasteur vont le suivre toute sa vie. Il va puiser dans les écrits bibliques des thèmes qu'il va peindre de manière "fantastique" avec des apparitions surnaturelles de la divinité.
En 1799, il expose une série de 47 peintures inspirées du "Paradis perdu" du poète John Milton, et il ouvre une « galerie Milton » sur le modèle de la « galerie de Shakespeare » de Boydell.
L'exposition va être un échec commercial et la galerie ferme dès l'année suivante.
Cette exposition est aujourd'hui reconnue comme l'une des étapes majeures du mouvement du romantisme anglais.
La vision de St Jean et du candélabre à sept branches_1796_huile sur toile_collection particulière

La création d'Eve_1793_huile sur toile_collection particulière

L'expulsion du paradis_1802_huile sur toile_collection particulière

En 1799, Füssli est nommé professeur de peinture à la Royal Academy et est nommé quatre ans plus tard au poste de Conservateur.

En 1806, Blake défend Füssli face à une critique hostile de son oeuvre.

En 1810, il reprend son poste de professeur, qu'il conserve jusqu'à sa mort.

En 1816, il est élu membre de l'Academy Saint Luc à Rome sur recommandation du sculpteur Antonio Canova

En 1818, il termine l'édition de ses "Aphorismes", principalement relatifs aux beaux-Arts

Après une vie confortable et sans problèmes de santé, Füssli meurt à Putney, dans la banlieue de Londres, en 1825. Il est enterré dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul de Londres auprès de Sir Joshua Reynolds.
Georges Henry Harlow (1787-1819)_Portrait de Füssli_1817_Huile sur bois_Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven

Füssli est un artiste atypique et intellectuel, qui puise son inspiration dans les sources littéraires.

Bien qu'académicien et professeur de peinture à la Royal Academy, il s'éloigne des règles académiques et introduit dans sa peinture un langage onirique et dramatique personnel, où se côtoient sans cesse le merveilleux et le fantastique, le sublime et le grotesque.

L'univers de Füssli à travers ses créatures hybrides, ses monstres, ses fées... impose une nouvelle esthétique atypique pour son époque.

Peuplée de créatures hybrides, de personnages terrifiants et mystérieux, sa peinture marque une rupture avec le classicisme et le romantisme.


Texte de Paulette Gleyze

Photos de Paulette, Anne et Gérard Gleyze





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